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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/220

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REVUE DES DEUX MONDES.

digna. Le serf affranchi, qui ne connaissait que l’émeute contre son seigneur, fit son début dans la grande guerre, et, pour la première fois, soutint en rase campagne le choc de la cavalerie. Le tiers-état avait enfin donné signe de vie politique ; le corps national était complété. Voilà pourquoi la bataille de Bouvines devint à bon droit populaire. Dès cette époque, l’homme des champs, le mince bourgeois, ont pu, le soir après les travaux, entourés de leurs enfans émerveillés, de leurs voisins respectueux, rappeler les souvenirs du champ de bataille, dire les joies du devoir accompli, s’émouvoir au nom de la France, et réchauffer des ames tristement engourdies, en leur transmettant les premières étincelles du sentiment national.

M. Michelet, mieux inspiré, s’est incliné respectueusement devant Louis IX. L’héroïsme guerrier du saint roi, son équité, son dévouement au bien public, son inébranlable vertu au milieu des plus grands revers, ont donné lieu du moins à des tableaux touchans. On aurait pu faire ressortir davantage le côté politique de ce règne, les innovations administratives qui préparaient légalement les grands résultats que Philippe-le-Bel devait obtenir par la ruse et la violence. Nous n’osons pas reprocher à l’auteur cet oubli ; il paraît qu’il n’entrait pas dans son premier plan de faire connaître le mécanisme des anciennes institutions. L’établissement de la féodalité est constaté en peu de lignes ; mais l’organisation féodale, les ressources et les vices de cette forme de gouvernement, son influence sur les lois civiles, l’économie publique et les rapports sociaux, ne sont aucunement exposés. La révolution communale, dont la critique contemporaine a si bien relevé l’importance, n’est pas mise en saillie. M. Michelet s’excuse d’en retracer le mouvement dramatique et renvoie ses lecteurs aux belles scènes de M. Augustin Thierry, bien faites en effet pour désespérer les prétentions rivales. Quant à la partie critique, qui appelle encore tant d’éclaircissemens, elle n’est pas même abordée. Il eût été fort utile pour l’intelligence des deux derniers siècles du moyen-âge de dresser une sorte de statistique de la France communale, distinguant les municipalités d’origine romaine, comme Reims, Bourges, Orléans, Besançon ; les communes rurales dont l’origine remontait à d’anciennes communautés d’hommes libres ; les villes communales qui ont arraché leurs chartes d’affranchissement par l’insurrection ; celles, en beaucoup plus grand nombre, qui ont obtenu la liberté par rachat, au grand contentement de leurs seigneurs, trop heureux d’échanger de vaines prérogatives contre de bonnes redevances. M. Michelet s’est dispensé des recherches par des phrases