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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

à effet qui ne sont pas toujours d’une rigoureuse exactitude, celle-ci par exemple : « On a dit que le roi avait fondé les communes ; le contraire est plutôt vrai, ce sont les communes qui ont fondé le roi… Ce sont les communes, ou, pour employer un mot plus général et plus exact, ce sont les bourgeoisies, qui, sous la bannière du saint de la paroisse, conquirent la paix publique entre l’Oise et la Loire. » Quoiqu’il soit ordinaire à nos historiens de confondre ces deux mots, communes et bourgeoisies, ils n’ont pas toujours eu la même signification. Par communes on entendait la réunion, la conjuration des habitans d’un même lieu pour la défense des intérêts communs : la bourgeoisie était un contrat individuel en vertu duquel un homme, serf ou libre, paysan ou citadin, désavouait la juridiction de son seigneur pour se placer directement sous celle du suzerain, c’est-à-dire du roi, représenté dans les provinces par ses baillis. Pour devenir bourgeois du roi, il suffisait de payer une redevance au trésor royal et de faire un séjour de six mois dans une ville du domaine. Ainsi, du même coup, la royauté enlevait un sujet au seigneur féodal et gagnait un contribuable. Cette institution des bourgeoisies royales, qui ne fut dans l’origine qu’une mesure de police judiciaire et dont les auteurs peut-être ne comprirent pas d’abord toute la portée, fut plus nuisible encore à la féodalité que celle des communes, et ce qui le prouve, ce sont les réclamations réitérées et menaçantes, les ligues, les prises d’armes de la noblesse, pour recouvrer la plénitude de ses droits de justice.

Ces deux premiers volumes de l’Histoire de France, qui laissent tant de prise à la critique, attirèrent sur M. Michelet l’auréole de la popularité. Est-ce à dire que le public s’est trompé et qu’il y a lieu à casser le jugement ? La conclusion serait trop rigoureuse. Les juges compétens cherchent d’abord dans une histoire ce qui devrait y trouver place. La foule inexercée prend ce qu’on lui offre, et se prononce suivant l’effet qu’elle éprouve à la lecture. Ce qui la séduit avant tout, c’est un récit vif, entraînant, varié, qui offre à l’imagination des aspects nouveaux et mette en jeu les facultés sympathiques. Or, il faut convenir que peu d’historiens ont su, comme M. Michelet, s’emparer du lecteur et le conduire lestement à la fin d’un volume. Si l’on est exposé avec lui à glisser trop légèrement sur des points importans, du moins est-on dédommagé par des rencontres imprévues. Pour entretenir constamment l’intérêt, il ne se fera pas scrupule de quitter la France, et de courir en Angleterre ou en Italie, pour vous raconter ensuite les conquêtes des Normands, les tentatives de Gré-