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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/376

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REVUE DES DEUX MONDES.

rive d’Unkiar-Skelessi, s’élève une pierre monumentale en mémoire du traité fameux de ce nom, fait en 1833, et du secours que les Russes apportèrent alors au sultan, menacé jusque dans sa capitale par Ibrahim, fils de Méhémet-Ali. Nous avons contemplé avec tristesse ce monument, qui témoigne à chaque instant de l’humiliation profonde de cet empire, autrefois si puissant, et de la facilité avec laquelle les Russes pourraient saisir la belle proie qu’ils convoitent depuis si long-temps. Tout semble les y appeler, jusqu’aux élémens. En effet, pendant dix mois de l’année à peu près, les vents du nord soufflent sur l’entrée du Bosphore, et les courans qui existent dans le Bosphore lui-même sont un secours de plus. Quand on songe qu’à Sébastopol la Russie a toujours une armée et une flotte toutes prêtes, il est évident qu’elle a Constantinople dans ses mains. Ce qui fait qu’elle ne l’a pas prise encore, c’est qu’elle n’a pas encore trouvé qu’elle pût la garder.

Le palais de France à Thérapia a appartenu autrefois à un prince Ipsilanti, qui a été mis à mort par ordre du sultan ; ses biens furent confisqués, et le palais de Thérapia fut donné en cadeau à la France, au temps de l’ambassade du général Sébastiani. C’est une grande maison de bois comme toutes celles de ce pays ; elle est située sur le quai même du Bosphore. La salle à manger et les salons dominent la mer comme une dunette de vaisseau : demeure convenable pour un ambassadeur amiral. L’habitation est vaste, bien tenue, mais assez mesquinement meublée par le ministère des affaires étrangères : on me l’a fait remarquer en ma qualité de député. C’est un beau séjour pendant l’été ; un grand parc avec des arbres touffus et une terrasse sur le Bosphore en dépendent ; mais l’hiver y est rude, à cause des vents du nord, qui s’engouffrent dans le Bosphore. L’ambassadeur attendra encore assez long-temps que son nouveau palais de Péra soit construit ; on y travaille, et, chose singulière, on fait venir les pierres de Malte. On a promis de me prouver comme quoi cela ne coûtera pas plus cher que si l’on employait des pierres du pays. Je tiens, comme défenseur des intérêts des contribuables, à obtenir cette démonstration. La réception de l’amiral Roussin a été fort bonne ; c’est un homme d’un abord grave, qui paraît franc et loyal.

Il était près de dix heures quand nous avons pris congé de l’ambassadeur pour retourner à Péra. Notre caïk nous y a ramenés en deux heures par le clair de lune. Il faut en convenir, le Bosphore, à pareille heure, n’a rien à envier au grand canal de Venise, et pourtant les proportions plus resserrées de Venise me plai-