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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/377

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LETTRES D’ORIENT.

sent davantage. À minuit, les portes de Galata étaient fermées, et il n’y eut pas moyen de fléchir les gardes, même au moyen du bakschis, le pour-boire des Turcs : il nous fallut revenir débarquer à Tophana. Il est défendu aux Turcs et aux Grecs de circuler dans les rues passé une certaine heure : aussi l’un de nos bateliers, qui nous guidait, avait-il grand’peur d’être ramassé par la garde, avec laquelle, en effet, nous eûmes une petite explication ; mais, dès que nous eûmes prononcé le mot magique d’ambassade de France, nous fûmes autorisés à continuer notre marche, sans autre empêchement que celui des bandes de chiens errans dans les rues de la ville ; il fallait les écarter avec grand soin à coups de bâton. Ces animaux, si nombreux à Constantinople, sont assez dangereux pendant la nuit pour les piétons isolés.

Un autre jour, nous sommes allés voir les derviches hurleurs : ils se livrent à leurs pratiques dans une petite mosquée à Tatabla, au quartier de San-Dimitri. On ne saurait se faire une idée des contorsions de ces fanatiques. Leurs chants, qui sont des espèces de litanies entremêlées d’oraisons, se terminent par un exercice violent. On les voit exécuter alors des mouvemens cadencés de plus en plus rapides. Pendant ce temps, ils poussent les cris qui leur ont mérité, à juste titre leur nom de hurleurs. À force de se livrer à cet exercice, ils sont saisis d’une exaltation presque frénétique, et tombent enfin épuisés. Nous avons vu plusieurs des dévots qui s’adjoignent aux derviches éprouver de véritables convulsions épileptiques ; rien de plus hideux. Nous sommes sortis nous-mêmes assez fatigués de ce spectacle. Les Turcs y assistent avec componction ; les femmes même s’y rendent dans une tribune grillée, qui leur est réservée.

Pour nous rafraîchir les yeux et l’imagination, en sortant de la mosquée des derviches hurleurs, nous sommes montés à la tour de Galata : elle s’élève sur la colline de ce quartier et domine la majeure partie de la ville, tout le port, la pointe du Sérail. Au haut de la tour est une rotonde percée de quinze à vingt croisées, dont chacune est un tableau. Celle qui s’ouvre sur la pointe du Sérail m’attirait toujours de préférence. C’est qu’en effet ce promontoire couvert d’édifices d’une construction si originale, entremêlés de grands arbres, est l’un des plus beaux sites de ce pays.

Un autre ordre de derviches, les tourneurs, ont leur couvent à Péra, à deux pas de chez nous. Leurs exercices sont très suivis, et n’ont rien du caractère dégoûtant de ceux des hurleurs. Au centre d’une jolie mosquée très propre est un parquet. Une quinzaine de