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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

pour apporter ses denrées à la ville, en même temps qu’il vient assister à la messe du despote ou vladika. Chaque habitant se munit alors, comme en Russie, de vivres pour toute la semaine. Les Francs des Échelles prétendent qu’il n’y a pas de foires dans l’intérieur de la Turquie ; il y en a au contraire de très considérables. Ces peuples à vie sédentaire s’approvisionnent en effet, d’une saison à l’autre, de tout ce qui leur est nécessaire. À Prilipe, dans la Macédoine slave, à Eski-Djoumaa en Bulgarie, et à Ousoun-Chaaova, il y a des foires où campent quelquefois cent mille personnes. Les contrats sont rédigés par des espèces de notaires, la plupart grecs, qu’on voit dans tous les bazars, écrivant sur leurs genoux, au fond de leurs petites échoppes, ou bien se promenant, un encrier de laiton à la ceinture, et portant le kalem, plume de roseau, dans un étui, avec le kalemtrach ou canif. Ceux qui savent déchiffrer une ou deux des sept écritures turques, dont la plus haute, celle du divan, est l’écriture officielle, sont déjà des effendis (personnages). Les paiemens se font même parmi les Turcs, aux termes adoptés dans l’ancien empire grec, de la Saint-George à la-Saint-Dimitri, du 5 mai au 23 octobre. Pour montrer combien le crédit est nul, il suffira de dire que le taux moyen de l’intérêt de l’argent en Turquie, et même en Serbie, est de 20 pour 100 ; en Albanie, il se fait des emprunts à 48 pour 100 ; on place sur hypothèque à 12 et jusqu’à 24 pour 100.

V.

Pour étudier la vie domestique des Gréco-Slaves, il faut quitter les grandes villes, les routes battues, et aller chercher, au fond de leurs gorges et de leurs sauvages vallées, les tribus restées fidèles aux mœurs primitives. Là se dévoilent, dans toute la naïveté de leurs vertus et de leurs défauts, le robuste et laborieux Bulgare, au cœur mieux doué que l’esprit ; le Serbe paresseux, mais poète et guerrier intrépide ; le simple et obstiné Bosniaque ; le Monténégrin, libre penseur au village, renard aux mille ruses dans le combat, mais vainqueur généreux ; l’astucieux et indomptable Albanais ; le doux et spirituel Valaque ; le Grec à la fois économe et magnifique, enthousiaste et raisonnable, aventureux et prudent. Mais, pour entreprendre un pareil voyage, il faut autre chose qu’une curiosité de touriste. Il faut se préparer à toutes les privations, savoir coucher en plein air, vivre de fruits comme un anachorète, et risquer sa vie