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comme un soldat. Si on ne craint pas de s’exposer, à travers les repaires de klephtes, aux hasards d’une telle excursion, on fait sa provision de vivres et on se procure un guide pour la route ; une petite boussole même, pour s’orienter au besoin, n’est point chose superflue. Il faut se garder d’emporter des armes brillantes ; un fusil simple, un poignard et des pistolets communs doivent suffire. Les brigands laisseront passer le voyageur ainsi armé en lui souhaitant bonne fortune, dobra sretja ; peut-être même l’inviteront-ils à partager leur repas sous le rocher. Il ne faut pas non plus, comme dans un voyage d’Asie, prendre le turban et l’habit osmanli. Ici le Turc n’est plus chez lui, il est seulement campé. Si donc l’on veut être respecté de tous, on doit revêtir le magnifique costume grec ou garder l’habit franc. Comme on est assez exposé à s’égarer, même avec un guide, il ne faut pas manquer non plus de se munir de cartes. Mes meilleures sont celles de Trommelin et Lapie, qui embrassent en seize feuilles toute la Turquie d’Europe.

On monte ces chevaux slavo-tatars, maigres et petits, qui semblent n’avoir que le souffle et qui vont comme le vent. À peine le cavalier a-t-il un pied dans l’étrier qu’il est emporté au galop. Nos belles voitures à vapeur, marchant sur des lignes de fer, vont-elles aussi vite ? Je ne sais ; mais elles offrent certainement aux hommes lassés de la vie casanière moins de jouissance qu’une caravane ainsi lancée. Au lieu de grandes routes, à peine trouve-t-on des sentiers ; là où manque un pont, ce qui n’est pas rare, le voyageur n’a qu’à pousser sa monture dans le torrent, sans s’inquiéter de la profondeur, et le cheval le transportera fidèlement vers l’autre rive, à gué ou à la nage, peu lui importe. Si l’on persévère quatre ou cinq jours, cette manière de voyager ne tardera pas à séduire ; bientôt on comprendra tout le charme de la vie nomade, on comprendra l’Orient, pays des pèlerins et des sophis, où l’homme ne regarde sa maison que comme une tente, son existence que comme une halte passagère, pour laquelle il est superflu de s’entourer de tant de meubles et de choses prétendues comfortables à l’usage de notre Europe. Le soir on cherche, pour y camper, un lieu pittoresque, une colline, un platane près d’une source ; on enfonce dans le sol la lance à boule dorée, d’où se déroule la toile de lin qui doit abriter le voyageur. On s’étend sur le sein maternel de cette vieille terre qui nourrissait nos premiers aïeux, comme elle nourrira nos derniers descendans. Un tapis préserve de l’humidité du sol, sans enlever ce qu’a d’embaumé le contact des gazons fleuris. Aux lèvres le tchibouk, près