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puits, les Grecs et les Bulgares du désert ont soin d’entretenir, pour l’usage de leurs caravanes, un balancier et un seau formés d’un tronc d’arbre.

Autant ces plaines sont tristes et dépouillées, autant les villages sont frais et rians. Voyez ceux des musulmans gréco-slaves de la Bosnie, de la Macédoine et de l’Albanie : le silence règne dans les rues désertes ; mais ces bosquets qui entourent, qui cachent presque chaque maison, ces arbres qui entrelacent autour des fenêtres et des portes leurs branches chargées de fruits, ces eaux courant sous l’herbe haute, comme à la dérobée, vers la cabane qui sert de salle de bain à la famille, tout cet ensemble, enfin, porte un caractère d’innocence, de pureté calme, qui ramène la pensée vers les jours des patriarches. Si l’on entre dans un village chrétien, par exemple dans un celo bulgare, on n’y remarque pas le même luxe de végétation, parce que le Bulgare, exploitant toute la campagne, ne peut consacrer autant de soin à l’entourage de sa demeure ; et puis il est raya, il tremble de paraître riche, il enfouit sous le sol sa hutte de branchages. Mais attendons le soir. Dès que la nuit approche, on voit descendre de toutes les montagnes voisines les bergères et les enfans ramenant du désert leurs innombrables troupeaux. À leurs chants joyeux se mêlent le bêlement des moutons, des chèvres, le mugissement des grands buffles et le tintement de la sonnette des vaches mères. Chaque baba (femme de ménage bulgare), debout sur le seuil de sa cour, compte le bétail au passage, et se prépare à traire le lait. Alors se révèle toute la magie agreste des Balkans.

En Orient même, où l’hôte est un être si sacré, l’hospitalité des Bulgares est proverbiale, elle ne peut être comparée qu’à la philoxenia des Grecs. C’est grace à cette hospitalité que les coins les moins fréquentés de l’empire deviennent abordables pour le voyageur. En Serbie, il en est de même : dès que sont dissipés les premiers soupçons que provoque nécessairement l’arrivée d’un inconnu chez des hommes qui ont été longtemps esclaves, dès qu’ils se sont assurés qu’on ne leur veut pas de mal, ils sont tout à l’étranger. Le Serbe offre à son hôte la place d’honneur au foyer, le consulte pour les lois de l’état, comme pour l’organisation de sa famille. Dans toutes les cabanes où entre l’étranger, les petits enfans viennent à lui en souriant, au lieu d’aller se cacher, comme font les enfans des Turcs. S’il visite un riche citoyen, la maîtresse de la maison se présente d’abord pour lui baiser la main, et il ne peut échapper à cette triste politesse de l’Orient qu’en élevant la main et la posant à la grecque