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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

de soi une amphore de vin grec, on regarde se coucher le soleil, et dans un repos total, partagé en ce moment avec toute la nature, on attend le repas du soir. Vous êtes dans le désert, mais en même temps sur le grand chemin du monde ; tout frère, c’est-à-dire tout homme qui passe, s’arrête, ou vous envoie la temena, ce magnifique salut oriental qui consiste à s’incliner en posant la main sur le cœur, et à se redresser en la portant au front, comme pour dire : Ami, mon cœur t’est dévoué, et mon esprit t’élève vers le ciel. Si vous prenez votre repas, souvent le passant s’invitera lui-même, et viendra s’asseoir à votre table de gazon. Si c’est vous qui passez, on vous appelle, on vient vous prendre ; il faut que vous partagiez le repas de vos frères inconnus ; bergers ou marchands, grands ou pauvres, n’importe, ils sont vos égaux, et il est si naturel que des frères partagent ce qu’ils ont.

La nuit venue, Européens et Gréco-Slaves se rangent autour du foyer improvisé, et la conversation se fait souvent en quatre ou cinq langues. Si les environs du campement sont infectés de chakals et de sangliers, au lieu d’élever une tente, on suspend avec des cordes son hamac entre des arbres ; d’un tapis étendu on se fait un dais pour se préserver de la rosée, et l’on s’endort en sécurité. Dans les plaines situées entre Constantinople et le Taurus ou les Balkans d’Europe, ces précautions deviennent même inutiles ; le climat y est d’une douceur extrême, et les animaux sauvages ne se hasardent que rarement dans ces longues steppes nues.

Le matin, le soleil se lève sans aurore et inonde subitement la terre de ses rayons. Un léger cri du guide fait accourir vos petits chevaux arabes et slaves, aux yeux à fleur de tête, au front saillant et aigu. Vous partez, et, s’il le faut, votre monture ira jusqu’au soir sans broncher, sans s’arrêter même pour boire. De distance en distance, on rencontre quelque tombeau turc, avec ses deux colonnes debout, que, sous le crépuscule, on pourrait prendre de loin pour deux rayas qui causent. Parmi ces colonnes, il y en a de très belles, et même d’antiques, en marbre blanc ; presque toujours elles sont penchées : qui sait si par là les anciens imans ne voulaient pas indiquer la chute du guerrier retombant au sein de la terre ? Ces sépulcres alternent sur les routes avec les fontaines. Quelquefois celles-ci sont couvertes d’un tronc d’arbre creusé, ou d’une grosse pierre forée et plantée sur l’orifice du puits. On trouve de ces pierres qui sont d’élégans chapiteaux pareils à ceux qui ornent les gracieuses fontaines des petites rues déterrées de Pompeïa. Au-dessus de ces