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mystiques et de semaines prophétiques. Quant à la disproportion des parties et à l’énormité des dimensions où cela l’entraîne, il oppose qu’on ne voit encore que le frontispice du palais, et qu’on ne peut juger de l’ensemble : « Qui vous eût montré la tête du grand Colosse de Rhodes séparée du corps, n’eussiez-vous pas dit qu’elle étoit épouvantable, monstrueuse et démesurée ? » — « Mais quoi ! eût pu lui répliquer un plaisant, son voisin Montaigne ou tout autre, quoi ! ce n’est là que la tête que nous voyons ; que sera-ce donc quand viendront les épaules, la poitrine de cet Hercule et tous ses membres ? » — Mais c’est surtout en ce qu’il allègue pour la défense de son élocution que l’honnête poète nous intéresse : « La grandeur de mon sujet, dit-il, désire une diction magnifique, une phrase haut levée, un vers qui marche d’un pas grave et plein de majesté ; non errené (éreinté), lâche, efféminé, et qui coule lascivement, ainsi qu’un vaudeville ou une chansonnette amoureuse. » Ne sent-on pas le petit coup donné en passant à l’école de Desportes ? Et arrivant aux critiques de détail qu’on lui avait faites, il indique ces vers tirés de la description du cheval ; il s’agit d’exprimer le galop :

Le champ plat bat, abat, détrappe, grappe, attrape
Le vent qui va devant...........

On avait trouvé cela ridicule[1]. « Mais, ô bon Dieu ! s’écrie le poète, ne voient-ils pas que je les ai faits ainsi de propos délibéré, et que ce sont des hypotyposes ? » Et il continue de se défendre, comme il peut, sur l’affectation des mots nouveaux, sur l’abus des épithètes composées : « Je ne suis point de l’opinion de ceux qui estiment que

  1. J’ai cité ailleurs tout en entier (Tableau de la Poésie française au seizième Siècle) ce morceau du cheval, et ce qu’en raconte Gabriel Naudé, que Du Bartas s’enfermait quelquefois dans une chambre, se mettait, dit-on, à quatre pattes, et soufflait, gambadait, galopait, pour être plus plein de son sujet ; en un mot, il ne récitait pas sa description, il la jouait. Si l’anecdote n’est pas vraie, elle mérite de l’être. Tout ce procédé ou ce manège part d’une fausse vue de l’imitation poétique, qui ne doit être ni une singerie, ni un langage de perroquet. C’est encore ce malheureux travers de poésie imitative qui a fait dire à Du Bartas, en parlant de l’alouette et de son gazouillement :

    La gentille Alouette avec son tire-lire
    Tire l’ire aux fâchés ; et d’une tire tire
    Vers le pôle brillant......

    On rougit de ces billevesées du talent. Au reste, pour revenir au galop du cheval, le vers de Virgile : Quadrupedante putrem…, a porté malheur à ceux qui s’en sont