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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/635

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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

bluette. Elle brillait là, comme l’image d’un chaste amour au milieu des folles pensées d’une fille perdue. Vendredi soir, le recueil qui l’a d’abord renfermée et que j’ai à présent sous les yeux, est un recueil rempli, comme Fa Dièze, de l’harmonie lointaine et confuse de mille souvenirs de jeunesse, un de ces livres qui vous causent un plaisir aussi incompatible avec toute idée de critique ou d’analyse que le plaisir dont notre ame peut être remplie par les jouissances de l’ouïe ou de l’odorat.

Le Chemin le plus court, qui fut publié en 1836, n’a plus cette parure de jeunesse qui nous a semblé si attrayante dans Une Heure trop tard et dans Sous les Tilleuls. Quoiqu’il ne se soit écoulé qu’un intervalle de trois ans, le romancier est déjà parvenu à l’époque où les mariages sans amour remplissent, dans les œuvres de l’imagination et dans la vie, le rôle du suicide, pour éteindre les battemens du cœur et amener d’irrévocables dénouemens. L’héroïne du Chemin le plus court ne se tue pas comme Madeleine ; elle se marie. On a prétendu que l’auteur avait fait entrer dans ce roman tous les détails d’une histoire douloureuse de son existence. Nous l’avons dit en commençant, nous laissons toujours au fond des œuvres où ils se cachent les mystères de cette nature. La critique doit obéir à une curiosité plus noble que celle qui porte sur les actes de la vie privée. La vérité qu’elle cherche dans un livre, ce n’est pas celle dont on s’assure par une enquête indiscrète de faits incertains et mal connus, c’est la vérité que chacun peut nier ou reconnaître en examinant les règles éternelles du beau et les sentimens éternels du cœur. Ainsi donc c’est aux caractères seuls que nous nous sommes attaché. Il en est un qui, tracé par un grand écrivain aussi fortement qu’il a été conçu par M. Karr, aurait pu se graver en traits ineffaçables, entre le caractère d’Obermann et celui de René, dans les esprits passionnés et rêveurs. Le rôle de Vilhelm Girl est d’un bout jusqu’à l’autre la glorification d’une paresse intelligente et poétique, dont bien des hommes de notre génération commencent maintenant à s’éprendre. Ce Vilhelm Girl est un poète, mais un poète qui laisse ses vers dans la fumée de son tabac et dans le calice de ses fleurs. Il est le fils de ceux à qui la gloire et la liberté ont menti, et il essaie de l’oisiveté. Ce n’est pas un René, car, si René n’attend plus rien de l’activité humaine, il interroge encore la nature avec inquiétude, il espère toujours du vent qui chasse les nuages et qui souffle la tempête quelque pensée révélatrice, quelque inspiration soudaine et décisive ; Vilhelm ne demande aux brises des mers que de secouer sur son front leurs parfums et leur fraî-