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les œuvres n’ont pas été recueillies était le premier ou plutôt le seul poète anglais de son temps. Né vers 1469, nommé recteur de Diss, dans le comté de Norfolk, vers 1483, précepteur de Henri VIII, poète lauréat en 1489, il n’avait pas vingt ans qu’il poursuivait déjà de ses épigrammes bouffonnes les voluptés du clergé, ses ambitions et ses excès. D’ailleurs peu sévère dans ses mœurs privées, ce prêtre enleva une jeune fille, et pour ce fait, « si commun aux poètes, » dit Wood l’historien d’Oxford[1], fut suspendu de ses fonctions par l’évêque de Norwich. Skelton vint ensuite à Londres avec sa proie, qu’il épousa, dit un historien[2], en légitime mariage, et que d’autres annalistes moins charitables appellent naïvement sa concubine. C’était l’époque où le nord de l’Europe se soulevait d’un mouvement commun contre le midi, où les corruptions réelles et prétendues de cet admirable clergé qui a donné aux peuples modernes leur forme politique et sociale, leur centre de moralité, leur littérature et leurs arts, éveillaient la colère générale. Nul en Angleterre n’était mieux placé que Jean Skelton pour recueillir et résumer cette influence ; nul avant Luther, n’attaqua plus âprement le pouvoir ecclésiastique et l’autorité de la hiérarchie romaine. Bouffon indépendant et indompté, aimé du roi qui pardonnait volontiers les faiblesses sensuelles et le cynisme érudit, jeté hors de caste par son mariage étourdi, ardent de courroux contre ses supérieurs ecclésiastiques, il se mit, dès son arrivée dans la capitale, à battre en brèche à coups de rimes joviales ce pouvoir qui venait de le châtier. D’une fertilité qui passe la vraisemblance, écrivant, comme Scarron, des vers grotesques par milliers, ce pamphlétaire populaire fut en réalité l’homme qui exerça sur son temps et son pays l’action la plus énergique, et qui soutint avec le plus d’acharnement et d’efficacité le combat de la royauté temporelle contre la royauté théocratique. Personne n’avait écrit comme Skelton. Personne n’écrivit plus comme lui. Butler, dans son Hudibras, fut le seul qui tenta de l’imiter. Créateur de sa forme et de sa phraséologie, s’embarrassant peu des rudesses et des bizarreries de la diction, pourvu qu’il frappe le but et blesse l’adversaire, Skelton, réformateur bouffon, exécuteur politique, homme de combat qui porte la marotte avec la massue, n’est pas un poète ordinaire : c’est Scarron polémiste.

La popularité de Skelton s’est évanouie au moment précis où

  1. As most poets. V. Athenæ Oxonienses, p. 22.
  2. Fuller, English Worthies. — Voyez aussi d’Israëli.