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LA MONARCHIE AUTRICHIENNE.

Il n’y a pas, en Europe, de pays où des iconoclastes pourraient se donner carrière autant qu’en Bohême ; il n’y en a point où l’on trouve autant d’images exposées à l’adoration des fidèles. Au lieu des petites croix en fer ou en pierre que l’on rencontre dans les campagnes du midi de la France, ce sont de grandes croix de bois élancées dans l’air et plantées sur les pointes des rochers. Au lieu des étroites niches placées au détour d’une rue dans nos villages, et que suffit à remplir une statuette en pierre de la Vierge ou d’un saint, ce sont des stations et des chapelles où le paysan se repose un moment, agenouillé au pied d’une figure de Marie ou de son fils. Sur les ponts et sur les places, autour des fontaines, ce sont des groupes de sculpture que n’avoueraient sans doute ni Phidias, ni Canova, ni Thorwaldsen, mais qui pourtant ont une certaine prétention d’art. Le soir, la piété des fidèles allume des lampes devant les reposoirs les plus isolés au milieu des bois, devant les chapelles et les croix le plus haut perchées sur les montagnes. Dans l’obscurité des nuits, ces lumières aident le piéton à s’orienter, et font naître des idées religieuses dans l’esprit du passant le plus sceptique.

Cette Bohême, qui suit ainsi le catholicisme le plus romain, le plus sensible (je veux dire celui qui tombe le plus sous les sens), a été pourtant, il y a deux siècles, un pays de réformés. Ce fut la patrie de Jean Huss et de Jérôme de Prague, patrie alors fière de ses enfans réformateurs, passionnée pour leurs idées et pour leur mémoire. Avant la bataille de Weissenberg, qui rendit Ferdinand II maître de Prague et de la Bohême, les réformés dominaient par le nombre et par l’influence. Peu d’années après, les efforts du gouvernement et les exhortations du clergé, mêlés au surplus de mesures coërcitives, avaient opéré un entier revirement, une conversion générale. L’histoire ne fournit pas de fait qui mette mieux en relief les traits par lesquels le caractère slave diffère du français ou mieux encore de l’anglais. C’est une nature relativement obéissante, maniable et flexible. Je parle de la masse ; en tout pays, il y a des exceptions à la règle commune, et je les laisse à l’écart. Le Slave n’a pas comme l’Anglais une barre d’acier dans la moelle épinière. Il n’est pas comme le Français un infatigable raisonneur, un docteur obstiné, un frondeur incorrigible. Moins que l’Allemand, il est porté à l’analyse philosophique. En France, malgré un luxe de rigueurs, on n’a pu ramener au catholicisme les Albigeois et les paysans des Cévennes. En Espagne, la proscription en masse, l’auto-da-fé en permanence, l’extermination, ont pu seuls avoir raison des croyances mauresques.