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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/82

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place dans leur vie que dans celle d’aucun autre peuple. Or, elle ne cesse d’exalter leur orgueil patriotique en leur rappelant continuellement tout ce qu’il y a de souvenirs glorieux dans leur histoire depuis la bataille de Teutobourg, où Arminius détruisit les légions romaines, jusqu’à celle de Leipzig, et en leur parlant en termes un peu exagérés de la suprématie politique qu’ils ont possédée autrefois en Europe, et du haut rang que leur donne aujourd’hui parmi les nations civilisées leur activité intellectuelle et scientifique. Cet ordre d’idées et de sentimens est, comme on le pense bien, moins à l’usage du peuple qu’à celui des classes lettrées ; toutefois il s’étend assez loin à cause de l’extrême diffusion de l’instruction élémentaire, et l’on peut dire avec vérité que la grande majorité des Allemands tient fortement à sa nationalité et ne redoute rien tant que la domination étrangère. Les adversaires de l’ordre de choses actuel sont d’accord sur ce point avec ses partisans ; il y a beaucoup de gens qui voudraient des modifications considérables dans la constitution fédérale ou dans les institutions particulières des états auxquels ils appartiennent ; il y a même des populations entières qui font des vœux pour que quelque combinaison nouvelle les délivre des souverains qui leur ont été donnés par le congrès de Vienne ; mais personne ne veut cesser d’être Allemand, d’appartenir à la confédération des nations germaniques, sous quelque forme qu’elle soit constituée. Si donc la France venait à menacer la rive gauche du Rhin, toutes les opinions pourraient bien se rallier autour des gouvernemens pour la défense du pays, et, à défaut de l’élan de 1813, ceux-ci trouveraient au moins un appui suffisant dans les antipathies et les méfiances des populations contre l’étranger. Ces sentimens domineraient infailliblement si l’agression venait de notre côté, et si dans la conduite de nos affaires se manifestaient les idées de propagande universelle qui ont laissé un si fatal souvenir de notre révolution en Allemagne. Il n’est pas probable qu’il en fût de même si l’Europe continentale attaquait la première, enhardie qu’elle serait par nos divisions intérieures, et tentée par l’espoir d’en finir d’un seul coup avec la révolution et les idées libérales. Ce ne serait pas là une guerre nationale aux yeux des Allemands, qui au contraire craindraient pour eux-mêmes les suites de la victoire. Les sympathies d’un grand nombre seraient pour la France réduite à la défensive, et le jour où, par un de ces efforts vigoureux dont elle est capable, elle repousserait l’agression et reporterait la guerre sur le territoire ennemi, elle pourrait avec succès faire appel aux mécontentemens qui fermentent du Rhin à la Vistule, parce