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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

« — Et si tu t’éloignes ainsi, là-bas, au-delà de la mer, tu trouveras une autre bien-aimée. Chéri de mon cœur, adieu !
« — Des milliers d’étoiles étincellent au pavillon céleste ; mais nulle d’entre elles ne plaît comme la lune.
« — Bon ; prends seulement cet anneau, cet anneau d’or, et, s’il te devient trop étroit, jette-le dans la mer.
« — Mets encore cette fleurette sur ton cœur palpitant, et, quand elle ne s’exhalera plus, ta douleur aussi sera passée.

« Le lied convint aux jeunes filles, et, dès la troisième strophe, elles se mirent à chanter en chœur.
« Maintenant, dit le garçon meunier, entonnons tous ensemble le lied du sire de Haide[1] : la mélodie a quelque chose d’étrange, et c’est aussi un lied de matelots.
« La jeune fille accorda de nouveau sa harpe, et tous, d’une voix grave, aux battemens monotones des rames, chantèrent en chœur le lied qui suit :

Dites, sire de Haide, dites,
Pourquoi ce long vêtement blanc ?
— Là-haut, sur ces hauteurs maudites,
La roue, hélas ! déjà m’attend. —

Et ta femme, où donc, capitaine,
Est-elle quand tu vas mourir ?
— Sur la mer, sur la mer lointaine,
Elle vogue pour son plaisir. —

Vers la hauteur patibulaire
Le convoi défile en chantant ;
Deux corbeaux volent par derrière,
Deux autres volent par devant.

— Sombres messagers de l’espace
Une fois repus de ma chair,
Allez tout raconter, de grace,
À ma femme errante sur mer. —

La lune éclaire, l’air est tiède,
Le vaisseau glisse doucement ;
La femme du sire de Haide
Prend le frais avec son galant.

— Voyez-vous, au feu des étoiles,
Voyez-vous ces sombres oiseaux ?

  1. Herr von der Haide ; le mot à mot voudrait : Sire de la Bruyère.