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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

Revenons à la visionnaire de Prevorst.

Le livre de Kerner est l’histoire d’une de ces malheureuses créatures chez lesquelles la maladie, les souffrances morales, ou bien (et c’est ici le cas) une disposition héréditaire, innée, ont tué le corps. L’équilibre rompu, on devine ce qui en résulte : plus l’élément charnel disparaît et s’efface, plus le spirituel grandit, plus rayonne et flamboie, dans le globe chaque jour moins opaque, la mystique clarté de Van Helmont et de Jacob Böhm. Qu’arrive-t-il ? Les nerfs finissent par devenir le principe unique de l’existence, Kerner dirait l’esprit des nerfs. Le merveilleux abonde dans ce livre, le merveilleux en tant que révélation des secrets de cette vie intérieure, en tant que recherches et vues nouvelles sur un monde d’esprits en rapport continuel avec le nôtre. Cette vie intérieure, dont parle Kerner, s’agite en nous non-seulement durant le sommeil magnétique, mais dans l’activité réelle de l’existence ; si nous ne la sentons plus guère, si nous sommes désormais inhabiles à déchiffrer ses nombres substantiels et profonds, c’est que le tumulte du monde extérieur nous en empêche jusqu’au jour où, le monde extérieur s’effaçant, l’esprit se sent irrésistiblement attiré vers le cercle intérieur, et contemple, souvent trop tard, ce qui s’y passe.

« Seriez-vous perdu encore davantage dans le tourbillon de la vie extérieure, vous appliqueriez-vous mille fois à ne chasser que les phénomènes du dehors, il viendra une heure, et fasse le ciel que ce ne soit pas la dernière de votre existence ! une heure de désespoir et de larmes, où, précipité tout à coup du faîte du bonheur terrestre, vous resterez seul dans l’abîme, seul dans l’abattement et le repentir. Alors vous chercherez en vous cette vie intérieure, cette vie oubliée peut-être depuis votre enfance, et qu’il vous arrivait d’entrevoir çà et là dans vos songes nocturnes, mais sans en comprendre le sens. Combien ont eu cette destinée, et combien l’auront encore, qui se promènent au soleil, le visage épanoui, et mettent tout leur fond dans les vanités de ce monde ! Et naguère n’entendais-je pas l’un d’eux s’écrier, dans le râle de la mort : « La vie a déserté le cerveau, elle est toute dans l’épigastre ; je ne sens plus rien de mon cerveau, je ne sens ni mes pieds ni mes bras, mais je vois des choses inénarrables auxquelles je n’ai jamais cru ! C’est une autre vie. « Et, disant ces mots, il expira[1]. »

Dans le Wurtemberg, non loin de Löwenstein, sur le plus haut pic du Stocksberg, à dix-huit cent soixante-dix-neuf pieds d’élévation au-dessus de la mer, est situé, au milieu d’une ceinture

  1. Die Seherinn von Prevorst, 1re partie, p. 4.