de bois et de forêts, dans le plus romantique isolement, le petit village de Prevorst. Là naquit, vers 1801, une femme chez laquelle se manifesta dès la première enfance une sorte de vie intérieure, étrange, singulière, et dont les phénomènes forment le sujet du livre de Kerner. Frédérique Hauffe, la fille du forestier de la contrée, fût élevée selon les conditions du lieu et de sa position, c’est-à-dire avec simplicité et sans nulle recherche. Accoutumée à l’air vif de la montagne, au froid rude et tenace de ces pays escarpés, elle semblait, heureuse enfant, ne demander qu’à vivre et à s’épanouir sur le rocher ou dans la forêt, au milieu de ses sœurs, lorsqu’on remarqua chez elle les premiers symptômes d’une force surnaturelle, d’une puissance de pressentiment qui se révélait la plupart du temps par des songes prophétiques. Un déplaisir, une réprimande amèrement endurée, suffisaient pour mettre en mouvement cette vie de l’ame, qui dès-lors n’attendait plus que le repos nocturne pour entraîner la pauvre enfant en ses abîmes les plus profonds, où passaient et repassaient à ses yeux des spectres, des images pleines de leçons et d’avertissemens, des ombres presque toujours fatidiques. Les influences sidérales agissaient aussi déjà sur elle irrésistiblement ; l’onde et les métaux l’impressionnaient. On conçoit quelle épouvante sacrée, quelle terreur superstitieuse dut s’emparer de cette honnête famille de montagnards, au spectacle d’une affection semblable, de ce sens intérieur, spirituel, qui se développait de jour en jour, aussi normal désormais, aussi peu facile à retenir en son élan, que la croissance du corps. Cependant, comme il fallait pourvoir à l’éducation religieuse de Frédérique, on l’envoya à deux lieues de là, à Löwenstein, où demeurait son grand-père.
Le vieillard avait coutume d’emmener Frédérique en ses promenades, et bientôt il s’aperçut que cette enfant si éveillée au grand air, si heureuse de courir dans les bois et le pré, lorsqu’elle arrivait à certaines places, s’arrêtait tout à coup, devenait pâle et frissonnait. Le bonhomme commença par ne rien comprendre à la chose, jusqu’au jour où il observa que les mêmes sensations se renouvelaient chaque fois que sa petite-fille entrait dans une église où se trouvaient des sépultures. En pareil cas, la pauvre enfant n’y pouvait tenir, et se réfugiait en toute hâte sous le portail. Inutile de dire que des répugnances non moins invincibles la soulevaient dans les environs d’un cimetière, le champ des morts eût-il été du reste encore éloigné de quelque distance, et si bien caché par les touffes d’arbres ou les accidens du terrain que les yeux n’en pouvaient découvrir vestiges.