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sans consulter, et de très près, les mémoires et lettres particulières du puritain Robert Baillie. Fuller le royaliste n’intéresse que les littérateurs. Quoique employé dans l’armée royaliste, et même avec un certain éclat de courage qui se déploya surtout pendant le siége d’Exeter, le brave homme, dès que la paix fut rétablie, revint à ses pacifiques et ingénieuses habitudes, écrivit des sermons lardés de calembours, des livres d’histoire ancienne semés d’observations naïves sur les mœurs contemporaines, et des commentaires théologiques brodés d’anecdotes piquantes. On ne peut pas avoir plus d’esprit que Fuller ; son malheur est d’en avoir trop. Écrivant pour son plaisir et à son aise, avec une facilité impétueuse et une intarissable verve, il a laissé des traces brillantes et bizarres dans la littérature de son pays. Il sème à pleines mains la comparaison ingénieuse, la métaphore éblouissante, le jeu de mots, le portrait, la saillie, l’anecdote, le trait. Il n’est pas pédant ; il nous épargne la citation et n’ennuie jamais. Ce qui lui manque, c’est le goût. Ses calembours les plus baroques et ses pointes les plus affectées lui viennent naturellement ; et, quoique ces ornemens de son style et de sa manière soient étrangement recherchés, il ne les cherche pas. Il ressemblerait à Montaigne, s’il avait plus de jugement et de sévérité ; aventureux comme le gentilhomme du Périgord, il se montre comme lui brillant, original, énergique, incroyablement hardi dans ses transitions, et surtout dans ses digressions. À propos de l’église anglicane, il traite, dans un singulier chapitre, « des tailleurs, des habits noirs, et de l’art de dégraisser. » Ainsi Montaigne, dans son chapitre des Coches, ne s’occupe que des empereurs romains et de leurs femmes. « Assez parlé de dégraissage ! s’écrie Fuller ; mais que personne ne condamne cet article comme une déviation qui m’éloigne trop de mon histoire ecclésiastique. D’abord, parce que je ne regrette pas le moins du monde de m’éloigner un peu de ma route, pourvu que ce sentier conduise au bien de mon pays ; ensuite, parce que, obliquement je l’avoue, ce sujet appartient à l’église ; une multitude de familles pauvres qui se trouvaient naguère à la charge de leurs paroisses, comme me l’ont prouvé les registres des officiers ecclésiastiques, ayant appris l’art du dégraissage et de la teinture, se trouvent maintenant hors de peine ! »

Sous son désordre et sa bizarrerie, Fuller, comme les bons prosateurs anglais et allemands du XVIIe siècle, a l’immense avantage de contenir le minerai du talent, la matière première de l’esprit, du style, même de l’éloquence. Le lingot gît au fond de la mine, obscur,