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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/1018

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REVUE DES DEUX MONDES.

idée, la portent à tous les bouts du monde ! Burnes faisait de la propagande contre le commerce des esclaves chez les émirs du Sindy : nous retrouvons à Hyderabad cette controverse sur la traite qui nous occupe tant aujourd’hui. « L’émir me demanda, dit Burnes, pourquoi nous nous opposions au commerce des esclaves ; sur quoi je lui expliquai toutes les énormités d’un navire à traite, et les traités que les puissances européennes avaient conclus pour la suppression de ce trafic. » Il paraît que Dost-Mohammed, le khan de Caboul, était déjà converti à l’émancipation ; car il voulait à son tour faire de la propagande contre les Usbecks. Le chef de cette peuplade lui fit répondre : « Négociez avec votre allié de Bokhara, et obtenez de lui qu’il n’achète plus des hommes ; alors on n’en vendra plus. »

À chaque pas, on surprend chez tous ces malheureux princes de l’Asie un pressentiment involontaire de la conquête anglaise. L’émir demande avec inquiétude quelle est la pension que le Grand-Mogol reçoit du gouverneur de l’Inde. Les populations regardent arriver ces Européens solitaires avec une sorte de terreur superstitieuse ; les habitans se rassemblent autour d’eux, ils s’inclinent avec une résignation toute fataliste devant la race prédestinée ; ils demandent si les Anglais leur permettront encore de tuer des bœufs et de dire leurs prières à haute voix. Une autre fois, Burnes remontait rapidement le fleuve sur une barque ; il voit sur le rivage un homme qui lui fait des signes de détresse et le conjure de l’entendre. « Sa requête était, dit-il, que, comme nous étions maintenant les maîtres du pays, il nous priait de lui faire rendre des terres dont sa famille avait été dépouillée du temps de Nadir-Shah, et dont il avait encore les titres. Nous ne pûmes lui persuader, ni à beaucoup d’autres, que nous n’avions aucune intention d’intervenir dans les affaires domestiques du pays. Ce fut en vain que j’expliquai plusieurs fois le but de ma mission ; beaucoup exprimaient hautement leur surprise ; d’autres, surtout des chefs, m’écoutaient sans rien dire, mais presque tous ne me croyaient évidemment pas. »

Ainsi le passage de deux ou trois officiers est regardé comme le signe d’une conquête irrésistible, et les Anglais prennent possession du territoire par leur seule présence. Ici, l’instinct de la race conquise est plus sûr que celui de la race conquérante ; Burnes traverse tout le Sindy sans pressentir qu’il y rentrera bientôt en maître ; il arrive à Khyrpour et à la célèbre forteresse de Bukkur, dont, moins de deux ans plus tard, il ouvrira lui-même les portes à une armée anglaise. « Qui m’aurait dit alors, s’écrie-t-il, qu’à la Noël de l’année