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LES ANGLAIS DANS LE CABOUL.

les nuits au Bala-Hissar ; le parti puissant des Kouzilbachis le poussait vers la Perse, et l’engageait à prendre au mot l’agent anglais en le laissant partir. Nous laisserons encore Burnes raconter ces curieuses discussions :

« Le soir, dit-il, l’émir rassembla tous ses conseillers, et il s’éleva une discussion orageuse qui dura jusqu’après minuit. Il fut, m’a-t-on dit, très éloquent en parlant du déshonneur qui s’attacherait à son nom dans le monde mahométan. Il fut enfin convenu que je serais appelé le lendemain ; mais la discussion fut reprise le matin, et dura jusqu’à midi. Alors le mirza vint me trouver… Il m’engagea à venir au Bala-Hissar dans l’après-midi ; en lui promettant de m’y rendre, je le prévins que l’émir ne pourrait changer mes résolutions, et que, si elles ne pouvaient lui convenir, je demanderais mon congé pour demain matin… J’allai seul au Bala-Hissar ; j’y trouvai l’émir, qui me reçut mieux encore qu’à l’ordinaire… Je lui dis que j’étais fâché d’apprendre qu’il eût mal pris la lettre du gouverneur-général… Il me répondit qu’il n’avait jamais songé à se faire un ennemi du gouverneur anglais… mais qu’il était un sauvage Afghan (a rude Afghan), peu habitué au langage poli des cours. »

Burnes termina la conférence en posant à l’émir les conditions suivantes : Ne point recevoir d’agens des autres puissances sans la sanction du gouvernement anglais, congédier le capitaine Vicovich avec politesse, renoncer à toute réclamation sur Pechawir, respecter l’indépendance des chefs de Candahar et de Pechawir. En retour, le gouverneur anglais garantirait la paix entre l’émir et les Sikhs. Dost-Mohammed fit un dernier appel à lord Auckland, mais en vain. Alors il perdit patience, et, quand Burnes le revit, il lui dit avec un ton qu’il n’avait pas encore pris : « Votre gouvernement me compte pour rien ; vous me dites que je dois m’estimer heureux que vous arrêtiez les Sikhs, que je ne crains pas… Je ne me fie pas aux Perses, et je les combattrai jusqu’à la mort ; mais après tout, si nous devons être vaincus, j’aime encore mieux être renversé par Mahomed-Shah, qui est une espèce de mahométan (a kind of mahometan), que par les Sikhs… En vérité, je ne comprends rien à ce que vous voulez. Ou je suis dans les ténèbres, ou je suis trompé. Jamais il n’y a eu pareille agitation dans ce pays ; les Persans sont devant Hérat, ouvertement aidés par la Russie. La Russie envoie ici un agent, votre gouvernement vous y envoie aussi. Je ne demande d’autre appui que celui de l’Angleterre, et vous me refusez tout. »