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en faire la critique : car, mélange de bien et de mal, de force et de faiblesse, de nobles sentimens et de timides prévisions, elle ne s’est pas élevée au-dessus de la condition commune ; elle a été une représentation fidèle de notre pauvre humanité.

Par son origine, la chambre se trouva dès son début sans direction et sans chefs. Le jour où il fut prouvé que la coalition ne pouvait pas enfanter un ministère, il fut clair pour tout le monde que tous les efforts des coalisés n’avaient abouti qu’à un grand avortement politique. En se séparant, deux hommes d’état, M. Thiers et M. Guizot, brisaient leur œuvre ; ils s’affaiblissaient et se rapetissaient à plaisir, et, pour ne pas se fermer toute carrière politique, ils se trouvaient dans la nécessité d’aller offrir leur talent, l’un à l’armée de la gauche, l’autre à l’armée de la droite, et de prendre le commandement de troupes qui ne leur étaient dévouées que sous réserve, et dont ils ne partageaient pas les opinions dans tout ce qu’elles peuvent avoir d’extrême et d’absolu. M. Thiers est avant tout homme de gouvernement, et les factieux n’ont jamais rencontré d’adversaire plus résolu et plus redoutable. M. Guizot est un ami de la liberté, il l’a défendue toute sa vie, et il la défendrait demain si elle était sérieusement menacée. Les hommes de parti ont beau répéter tous les jours que M. Thiers est un révolutionnaire et M. Guizot un contre-révolutionnaire, il n’y a pas d’homme impartial et sérieux qui ajoute foi à ces diatribes.

Ce qui est vrai, c’est que ces deux hommes éminens ont commis une faute grave en 1839 ; qu’il fallait ne pas s’engager dans la coalition ou en poursuivre ensemble les résultats ; qu’en se séparant, ils ont anéanti leur œuvre sans profit, et décapité, si on peut le dire, la chambre qui en était le produit. C’est de ce jour que la chambre n’a pu avoir d’ensemble, d’unité, disjecta membra. La majorité ne se ralliait pas à la voix de ses chefs, autour d’un drapeau ; elle se ralliait dans les cas de nécessité à la voix du gouvernement, parce qu’il était gouvernement, — pour les besoins du gouvernement, quel que fût d’ailleurs le ministère. Hors de là, lorsque d’impérieuses nécesités ne pesaient pas sur elle, lorsqu’elle ne craignait pas de compromettre la chose publique, tout lui paraissait permis, le doute, l’incertitude, la mauvaise humeur, les rapides changemens d’opinion, l’omnipotence parlementaire. Cette tendance naturelle des assemblées délibérantes dans les pays démocratiques à se fractionner de plus en plus, à repousser toute discipline et à ne jamais sacrifier la pensée individuelle à une pensée commune, tendance que l’intime union des chefs pouvait seule corriger et contenir, cette tendance, dis-je, ne pouvait que se développer par leur désunion. La chambre a été ce qu’elle devait être d’après les faits qui en ont marqué la naissance et les débuts. Il serait injuste de lui reprocher une faiblesse qu’elle ne pouvait pas ne pas avoir dès le moment qu’en lui enlevant M. Molé, on ne lui donnait pas les chefs coalisés. En déchirant le drapeau commun, la gauche, le centre gauche et le centre droit coalisés reprenaient chacun leur bannière ; il n’y