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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/112

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REVUE DES DEUX MONDES.

qui manquaient au convoi de Britannicus. Toute modestie à part, ces artistes sont trop gens d’esprit pour faire une si mauvaise spéculation ; ils savent qu’en France et par ce temps-ci il n’y a en général rien à gagner à être absent. Il est donc plus simple de croire et de dire que l’absence de ces talens n’est pas une protestation contre le salon, mais un pur accident.

La retraite obstinée de M. Ingres n’est pas susceptible de la même interprétation, mais elle en a moins besoin. Chercher ici de petits calculs, ce serait insulter. Il y a une sensibilité exaltée semblable à celle de ces timides plantes dont les pudiques feuilles frémissent sous le moindre contact ; pour elles, sentir c’est souffrir, et il n’est pas de main si délicate dont elles ne redoutent l’approche. L’illustre artiste a gardé rancune à la critique. On aurait mieux aimé qu’il eût pardonné. On a tout fait du moins pour obtenir ce pardon. Que manque-t-il désormais à sa gloire ? quel homme vivant dans la carrière des arts a plus reçu de son pays ? La France, mère tendre, quoique capricieuse, accorde beaucoup à ses enfans ; elle n’a rien refusé à celui-ci. Elle l’entoure de caresses, d’hommages, de renommée ; elle a attaché à son front une auréole sans rivale ; et lorsqu’il s’agit de disputer à l’Europe la couronne de l’art, c’est lui qu’elle prend pour premier représentant. Enfin elle en est arrivée à le gâter, et, au lieu de le gronder un peu de ses bouderies, elle consent à l’aller caresser chez lui, puisqu’il ne veut pas venir chez elle. Avec tout cela, un artiste peut encore être malheureux, mais assurément il n’est pas à plaindre.

Sauf cette exception, admissible parce qu’elle est unique, et par cela même aussi sans signification, il est certain que ce n’est pas du camp des artistes que partent les mauvais propos sur le salon.

Quant au public, il est encore moins coupable. Le public entre partout où il voit une porte ouverte, et il n’est pas à craindre qu’il se plaigne jamais qu’on accorde trop à sa curiosité et à ses loisirs. Le noble et délicat amusement que chaque année lui apporte avec les premiers souffles du printemps est devenu pour lui une heureuse habitude ; il va au salon comme il va à Longchamps. Parmi nos habitudes publiques, il n’en est pas d’aussi innocente ; dans aucune, le côté brillant, cultivé, poli et civilisateur de l’esprit national ne se montre avec plus de simplicité, de laisser-aller et d’attrait. L’art est le seul terrain neutre qui nous reste. Le public n’a donc non plus aucun mauvais vouloir contre le salon.

C’est la critique qui laisse paraître ces fâcheuses dispositions.