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LE SALON.

drames gigantesques dans lesquels figuraient non-seulement des armées, mais des nations entières. Nous ne décrivons pas cette immense composition. L’effet d’ensemble en est solennel et terrible. Comme exécution, elle est supérieure à l’autre ; mais celle-ci est d’une conception plus originale. C’est un épisode de la Défaite des Cimbres, exterminés par Marius. Les barbares sont en pleine déroute ; ils luttent cependant encore en désespérés sur plusieurs points du champ de bataille. Sur le premier plan, au centre de la scène, au milieu d’un ravin traversé par un ruisseau, s’avance, traîné par quatre bœufs, un énorme char chargé de femmes, de vieillards et d’enfans, dans les attitudes de l’accablement, de la terreur et du désespoir ; ce groupe offre de très beaux détails de style et d’expression. Sur l’arrière, deux guerriers, la face tournée vers l’ennemi, lancent leur javelot. À côté du char galope un cavalier dont le mouvement et le jet sont admirables. Sur le devant, aux pieds même des premiers bœufs, un homme couché à plat par terre, la face en bas, au bord du ruisseau, s’y désaltère à la hâte ; c’est un de ces motifs qu’on ne trouve que chez les maîtres. Sur une hauteur, les Romains ont établi leurs machines de guerre. L’effet général est moins réussi que celui du Siége de Clermont. Le ciel et la terre ne s’y distinguent pas assez ; les nuages manquent de légèreté, et l’air de transparence.

Il y a dans ces compositions de rares qualités d’invention, de style et de dessin, et une étonnante puissance d’exécution. Ce sont des œuvres d’un ordre fort élevé. Cependant la pensée et le sentiment de l’artiste n’y éclatent pas, ce nous semble, avec autant d’originalité, de franchise et de liberté que dans des productions du genre de l’École turque. En entrant dans l’histoire, il y trouve la tradition, les exemples des grands modèles, et y cherche naturellement des appuis. Quoiqu’il emprunte avec une rare intelligence et sache toujours jeter dans son moule à lui ces matériaux, il ne peut effacer tout-à-fait la trace de ces études. Ces influences étrangères, jointes à celles des habitudes d’esprit et de main contractées dans l’exécution de ses autres ouvrages, ôtent quelque chose à l’individualité de son talent et nuisent à l’unité du résultat. Il arrive de là que, malgré leur mérite extraordinaire, ces dessins ont quelque chose de singulier, de bizarre et de bâtard, qui ne se rencontre pas dans sa manière habituelle.

Après M. Decamps, c’est à M. Meissonier que reviennent les seconds honneurs. Il est convenu de dire que c’est un Flamand ; nous ne nous y opposons pas. Quelques défauts de perspective se font