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REVUE DRAMATIQUE.

prend garde, en désirs effrénés de spéculations hasardeuses, en passion et en délire de joueur dans les tripots littéraires.

Je hais, et je hais profondément tous ces poèmes de l’existence parisienne que les romanciers de ce temps-ci ont maintes fois tenté d’écrire, le tableau des luttes de la conscience contre les mille misères de la vie, l’intervention de l’usurier chez l’écrivain, l’irruption des affreux spectres de la réalité parmi les doux fantômes de l’imagination. Eh bien ! c’est le chant d’un de ces poèmes, c’est le chapitre d’une de ces histoires que je serais obligé de tracer, si je voulais remuer les idées qui s’attacheront désormais au dernier drame de M. de Balzac en dehors de toutes les critiques que la pièce elle-même a pu soulever. Mais décidément ma plume s’y refuse. En jugeant l’œuvre sans apprécier la conduite de l’auteur, notre tâche sera assez pénible encore.

M. de Balzac n’a prétendu à rien moins qu’à nous donner un second Figaro. Ce n’est pas la première fois qu’il s’égare sur les traces de Beaumarchais. Un jour il entreprit de faire une campagne semblable à celle qui extermina Goëzman. Là où Beaumarchais avait envoyé les légers escadrons de ses phrases rapides, ces essaims de guêpes qu’on eût dit enlevés aux ruches de Voltaire, M. de Balzac fit avancer les bataillons lourds et mal rangés de ses phrases traînantes. L’auteur du Lys dans la Vallée ne s’est pas contenté de cette première tentative ; il a eu l’imprudence de fournir une nouvelle preuve que la comédie et la satire échappaient à son esprit. Quand Geoffroy, le critique en rabat qui mettait les principes de sa discipline de collége au service de la discipline militaire de Bonaparte, quand Geoffroy parlait de Figaro, c’était avec des transports de colère, des épanchemens de bile dont on a peine à se faire idée. Au milieu des torrens d’injures que chaque représentation de la Folle Journée faisait sortir de sa plume, il y avait sans doute des réflexions justes et des reproches mérités ; mais ce qui donnait à la critique de Geoffroy quelque chose de la critique malencontreuse des Patouillet et des Nonotte, c’étaient ses efforts impuissans pour nier la verve incontestable, la chaleur entraînante, en un mot l’esprit, l’esprit souverain, tout puissant, radieux, qui brille, éclate et subjugue dans les pièces de celui que Maupertuis et d’Argens auraient pu appeler aussi bien que Voltaire leur révérend père en diable. Le pauvre jésuite se débattait vainement contre ce damnable esprit, le malin sortait vainqueur de ses exorcismes. À chaque reprise de Figaro, le goupillon de Geoffroy s’agitait d’une façon désespérée, et, après chaque article de Geoffroy, Figaro restait debout avec sa mine railleuse, hardie, provoquante ; l’engouement invincible du public ramenait toujours sur la scène la maudite apparition. Si M. de Balzac avait vécu sous l’empire, et si, ce dont je doute très fort, celui qui proscrivait Pinto avait laissé la scène libre aux Ressources de Quinola, Geoffroy aurait rencontré dans cette comédie les mêmes motifs de colère que dans la Folle Journée, et ses argumens ne s’y seraient certainement pas brisés contre le même obstacle. Le