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héros de M. de Balzac, c’est le héros de Beaumarchais, moins le brillant costume du corps et celui de la pensée ; sur son corps, les honteux haillons qui ont long-temps excité la risée des spectateurs du boulevart, le feutre percé, le pourpoint déchiré et crasseux, remplacent le chapeau enrubanné, la veste étincelante de boutons du joyeux barbier de l’Andalousie ; sur sa pensée, les lambeaux de la langue flétrie et déformée que l’habitude d’écrire de gros livres à la hâte a faite aux romanciers de ce temps-ci, remplacent les pimpans atours de la langue coquette et dégagée du Huron et de Candide.

Au reste, quand M. de Balzac aurait eu le talent nécessaire pour créer un Figaro, son époque aurait repoussé une semblable création. Le règne de Figaro est passé ; comme tous les règnes du monde, il a eu son jour, qui s’est évanoui pour ne plus renaître. C’était vers 1784, à cette fin de siècle qu’on eût prise pour une fin d’orgie, quand les maîtres étaient ivres, et ressemblaient au Romain de Pétrone qui veut affranchir tous ses esclaves en arrivant à sa dernière coupe ; c’était alors, alors seulement que le laquais, qui était resté derrière la table, en voyant boire et en ne buvant pas, pouvait venir s’asseoir devant ceux qu’il servait, et profiter de ce que l’ivresse avait arraché le bâton de leurs mains, pour les traiter sur le pied d’une insolente égalité. Figaro n’a été possible qu’un seul moment ; cela est si vrai, que l’homme dont on met maintenant le génie au-dessus de tous les génies de son temps, Molière lui-même, n’a produit dans son Scapin qu’un type incomplet, indigne de figurer parmi ceux dont il a doté la scène. Au XVIIe siècle, Léandre ou Valère écoutait volontiers Scapin disserter sur les tours à jouer aux barbons ; mais, si le drôle se fût mis à parler de la société et de la morale, on eût corrigé sur ses épaules les travers de son esprit. Tenez, voulez-vous que je vous raconte en deux mots l’histoire du héros de Beaumarchais, pour vous prouver qu’il ne peut plus revenir ? La voici : Du temps de Molière, il s’appelait donc Scapin, tendait la main aux bourses pleines, le dos aux nerfs de bœuf, et ne pensait à distinguer les hommes qu’en tuteurs et en amoureux. Du temps des philosophes, il déroba à ses maîtres les contes de Voltaire, et lut par-dessus leur épaule quelques pages de l’Encyclopédie ; on le trouva si instruit, qu’on le fit intendant ; il devint le Figaro dont nous nous sommes tous égayés, l’homme important de l’antichambre, gras et bien nourri, l’œil vif et le teint frais. Cet état dura pour lui jusqu’en 89. Alors Figaro disparut comme ceux qu’il avait attaqués. Je ne crois point qu’il ait émigré cependant, je le soupçonne plutôt d’avoir acheté les biens qu’abandonnaient ses maîtres. Ce qui est certain, c’est qu’à présent son rôle n’est plus possible, car l’ordre qu’il frondait n’existe plus.

Que représente donc Quinola ? Il représente une espèce d’hommes encore au-dessous de celle que Beaumarchais avait en vue. Celui qui l’a créé s’est trompé lui-même en le prenant pour un fils de Scapin et de Figaro. Ce n’est qu’une transformation nouvelle de ce honteux personnage dont on a fait le symbole des plus flétrissantes misères de notre époque, dont le nom est une