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nombreux anachronismes de Corneille, qu’il relevait avec une indulgence d’artiste et une certitude de savant, cette conclusion tout-à-fait juste, suivant nous, qu’il ne faut pas soumettre les œuvres de l’imagination au sévère contrôle de l’histoire. Si Quinola nous avait réellement rappelé ce Figaro auquel il avait tant le désir de ressembler, on se soucierait peu du temps et du lieu où M. de Balzac place son drame. Qui s’est jamais avisé de chercher des Espagnols dans les personnages de Beaumarchais ? Ainsi donc, que Fontanarès eût cité le nom de Galilée à une époque où Galilée était encore à naître, qu’on eût pu relever à chaque instant des erreurs de date, de pays, de costumes ; tout cela n’aurait été rien pour un spectateur gaiement occupé par une peinture de situations et de caractères tracés avec verve et vérité. Si quelques-uns ont reproché à M. de Balzac d’être un historien bien inexact du XVIe siècle, c’est qu’heureusement pour eux, ceux-là n’avaient pas compris qu’il voulait être l’historien de notre temps.

Maintenant faut-il parler du style ? Dans la forme comme dans le fond, les Ressources de Quinola offrent deux élémens distincts : l’imitation inhabile d’une bonne et ferme manière dont le secret se perd tous les jours, et l’imitation beaucoup trop habile, au contraire, de la manière mélodramatique et boursouflée dont nous avons tant d’exemples sous les yeux. C’est ce second élément qui domine. Le personnage qui donne son nom à la pièce, Quinola, s’efface près de Fontanarès. Il devait en être ainsi. Quand M. de Balzac fait parler Quinola, l’homme qui doit avoir la repartie vive et prompte, la phrase nette et concise, il ne trouve aucun mot dans son langage habituel, et il est obligé de tourner court dès qu’il est au bout de ses réminiscences de Lesage ou de Beaumarchais ; mais, quand il fait parler Fontanarès, l’homme à qui appartient la tirade ambitieuse, la phrase déclamatoire et bruyante, alors tous les mots du langage désordonné et violent qu’il entend parler tous les jours, qu’il a parlé si souvent lui-même, se présentent en foule à sa mémoire ; il n’a plus de raison pour s’arrêter ; les périodes longues et pressées suivent le repos haletant des exclamations furibondes ; enfin, la déclamation du XIXe siècle règne et triomphe sans obstacle. Or, cette déclamation n’a même pas la correction de collége qu’avait celle du siècle qui nous a précédés. Les contemporains de Jean-Jacques et de Diderot avaient, eux aussi, leur langue sonore et vide, leurs grands mots, leurs métaphores outrées, enfin toute cette rhétorique orgueilleuse et vulgaire que la littérature de chaque époque est obligée de subir ; mais ce mauvais style du XVIIIe siècle était préférable au mauvais style d’à-présent, en ce qu’il conservait certaines prétentions à la pureté, tandis que le nôtre, au nombre des lois qu’il foule, met au premier rang celles de la grammaire, comme ne le prouvent que trop les constructions vicieuses, les tours obscurs, les locutions impropres qui abondent dans les Ressources de Quinola. Au reste, ce qui unit entre eux non-seulement les déclamateurs du XVIIIe siècle et ceux du nôtre, mais les déclama-