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REVUE DRAMATIQUE.

teurs de tous les temps, c’est la même absence d’énergie qu’ils essaient en vain de cacher sous une élévation factice. Dans les endroits où on croit sentir quelques élans, la pièce de M. de Balzac me rappelle un mot que Jean-Paul Richter met dans la bouche de Schoppe, un des personnages de Titan, sur les écrivains à grands sentimens et à grandes phrases de son époque : « Le style de ces gens-là, dit Schoppe, me fait toujours penser à la queue des chevaux anglais ; si elle s’élève en l’air, c’est parce qu’on en a coupé le nerf. »

Du style et des pensées, du fond et de la forme, enfin de l’examen attentif des Ressources de Quinola, on doit, suivant nous, tirer cette conclusion que M. de Balzac a singulièrement compromis son talent en le conduisant dans de mauvaises routes ; mais que, l’eût-il conservé intact et complet, ce talent n’était pas appelé à se produire dans des œuvres dramatiques. Nous avons tous passé des heures entières dans les galeries du Louvre à contempler quelques-uns de ces merveilleux intérieurs de Van-Ostade, de Metzu ou de Gérard Dow, dans lesquels notre imagination pénètre, s’établit et s’amuse ; M. de Balzac savait quelquefois donner à ses romans le genre d’attrait mystérieux que présentent ces tableaux. Quelques pages de la Maison Claës nous ont fait éprouver ce plaisir bizarre et intime qu’on sent en suspendant sa pensée aux sculptures des boiseries luisantes, aux rosaces des tapis moelleux, aux fauteuils, aux chenets, aux flambeaux, enfin à ces mille objets connus que les pinceaux flamands savent rendre avec la puissance de la vérité, en les imprégnant cependant d’un charme fantastique et rêveur. Dans quelques-uns de ces petits cadres que je me rappelle en ce moment, une fenêtre entr’ouverte, au dernier plan, laisse voir à travers des treillages garnis de houblon un ciel de Belgique ou de Hollande. Le jour brumeux qui vient de cette croisée, c’est celui qui convient au tableau qu’on a sous les yeux ; à la place de cette pâle lumière, qu’on suppose un soleil d’Italie répandant tout à coup ses clartés ardentes dans cet intérieur où la demi-obscurité fait une partie du prestige ; que deviendront les doux rêves qui se cachaient pour nous dans les profondeurs de cette alcôve, dans les sombres plis de cette tenture, sous le chambranle de cette cheminée ? Le grand jour les mettra en fuite, et avec eux s’en ira tout notre plaisir. Eh bien ! le monde que M. de Balzac a reçu le don de comprendre et de reproduire, est le même que celui de ces peintures bourgeoises, il peut trouver dans le roman les teintes voilées dont il a besoin ; jetez sur ce monde la lumière du lustre, la clarté des rampes, tout l’éclat de la scène, il perdra sa poésie. L’imagination qui nous a donné Eugénie Grandet ne peut s’épanouir qu’à l’ombre de la vie retirée et solitaire ; elle n’est même pas née pour cueillir, comme deux imaginations charmantes dont nous parlions récemment, celle de l’auteur de Fa dièze, celle de l’auteur de Reisebilder, les coquelicots des blés dorés, les clochettes roses des prairies ; les fleurs qu’elle recherche avec une curiosité attentive, qu’elle contemple avec tendresse, ce sont ces fleurs pâles et étiolées qui, dans les cours humides et désertes des