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si fort en désuétude ; le répertoire de Mozart, de Rossini et de Bellini est une bonne et féconde terre qui garde encore en elle le germe des plus belles moissons. Le public a-t-il donné cette année le moindre signe de lassitude ou d’ennui ? Au contraire, on l’a vu accueillir avec empressement M. de Candia qui succédait à Rubini, applaudir comme par le passé Lablache, Tamburini, la Persiani ; la Grisi seule semblait sur la fin de la saison un peu tombée en défaveur, mais depuis trois mois la Grisi n’était plus guère, pour la voix et le talent du moins, que l’ombre d’elle-même, et ce discrédit tout accidentel eût cessé bientôt avec la cause. Le Théâtre-Italien est dans nos mœurs, il est dans nos goûts et nos habitudes, il faut qu’il dure. L’administration actuelle peut se retirer, libre à elle ; mais nous lui prédisons qu’avant peu elle en sera aux regrets.

À l’Académie royale de musique, les débuts, quelque temps interrompus, de M. Delahaye ont repris leur cours, sans que le public s’en soit bien vivement préoccupé. L’épreuve de Guillaume Tell n’a guère mieux réussi au nouveau ténor que l’épreuve de Robert-le-Diable. Certaines gens ne parlent qu’avec enthousiasme de l’organe de M. Delahaye, et ne se lassent pas de vanter à toute occasion le timbre et la sonorité de cette voix surnaturelle. Nous avons entendu M. Delahaye à sa première représentation, lorsqu’il était encore sous le coup d’une émotion inséparable du début, puis il y a quelques jours, c’est-à-dire à près de deux mois de distance, lorsque nous pensions pouvoir espérer, sans trop d’indiscrétion, qu’il nous mettrait dans sa confidence, et nous avouons que, si l’on excepte une émission stridente et gutturale, rien dans cette voix ne nous a frappé. Il est possible que ce timbre, encore enveloppé, parvienne un jour à se dégager à force de travail et grace à des études plus habilement dirigées que celles de M. Delahaye ne semblent l’avoir été jusqu’ici ; en attendant, il faut bien décompter et renoncer d’abord aux splendides illusions qu’on s’était faites. La Reine de Chypre conserve le privilége d’attirer la foule. Le public a pris goût, sinon à cette musique monotone et que nulle échappée mélodieuse n’éclaire, du moins au spectacle varié, à la pompe théâtrale qu’elle accompagne. Barroilhet contribue aussi puissamment au succès de cette partition que la fortune adopte à l’heure qu’il est, sans doute parce qu’elle n’a rien de mieux à faire à l’Opéra. La voix de Barroilhet, flexible, juste, sonore, pathétique, d’une vibration profonde et métallique, trouve par momens des effets auxquels on ne résiste pas. Ainsi, dans le duo du troisième acte, quand revient cet élan : Ô ma belle patrie ! c’est une conviction chaleureuse, une émission large et puissante qui vous remue jusque dans les entrailles. Barroilhet est aujourd’hui chez nous le seul chanteur qui gagne du terrain ; tandis que ses rivaux décroissent, lui de jour en jour prend racine et s’élève ; on sent que les encouragemens du public l’animent au travail et qu’il s’évertue à bien faire. À l’une des dernières représentations de la Reine de Chypre, Mme Stoltz, depuis quelque temps épuisée par les efforts auxquels elle se livre pour soutenir le répertoire dont la responsabilité pèse aujourd’hui sur elle seule, a