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REVUE MUSICALE.

teur de Médée et des Deux Journées, le chantre illustre de la Messe du Sacre, Chérubini, est mort dernièrement. Génie austère et correct, d’une inspiration toujours sobre et mesurée, inimitable dans ses combinaisons instrumentales où jamais le travail ne se laisse sentir, Chérubini emporte avec lui le secret de toute une école classique dont il était le représentant suprême. Je comparerais volontiers sa musique à une eau de roche : elle en a la profondeur et la transparence, comme aussi, par momens, le froid glacial. Avec lui, l’art domine toujours ; si le maître intervient dans ces œuvres de longue haleine, dans ces monumens de grand style, c’est par accès, par boutades, moins pour chanter que pour maudire et tonner du fond de son nuage, un peu à la manière du Jéhovah de la Bible. Les sentimens évangéliques, la douleur suave et résignée, ne sont pas en général ce qui l’attire. Sa présence dans l’œuvre se dénote par je ne sais quelle irritation nerveuse et maladive qui, du reste, était dans son organisation. Une fois cependant le maître a connu cette effusion d’amour, cette langueur divine, une seule fois, dans la marche de la communion de sa Messe du Sacre, page vraiment sublime, cantique tout parfumé d’encens et de bénédictions, et qu’on dirait tombé du livre des archanges. Depuis long-temps Chérubini n’écrivait plus, et, pour trouver la date de sa dernière partition, il faudrait remonter à la représentation d’Ali-Baba. L’accueil presque indifférent qu’on fit à cette partition éloigna le maître d’une scène dont il ne parlait plus la langue, et de ce jour il revint (non sans quelque amertume envers les temps) à cette muse austère qu’il cultivait encore aux approches de la mort, et que M. Ingres a surprise derrière le fauteuil du grand artiste. Chérubini se sentait vieillir avec peine, son grand âge le chagrinait ; l’auteur de tant de chefs-d’œuvre voyait avec horreur venir le moment où il lui faudrait dire adieu à cette gloire si laborieusement conquise, à cette muse qu’il adorait, à ces respects, à ces déférences dont il était l’objet de toutes parts. Comme on pense, dans de pareilles conditions, un esprit comme le sien devait avoir son franc parler sur les choses et les hommes ; ses bons mots n’épargnaient personne, et tombaient comme la grêle ici et là, impitoyablement. Enfermé dans sa retraite du Conservatoire, chargé d’ans et de gloire, Chérubini exerçait, sur la génération musicale nouvelle, cet effet prestigieux de M. de Châteaubriand dans les lettres. C’était un peu ce buste d’Homère régnant dans le fond dont parlait dernièrement M. Sainte-Beuve. Je cite Châteaubriand, c’est peut-être Royer-Collard qu’il faudrait dire, pour la vivacité du trait, le mordant de la repartie, qui souvent emportait la pièce. Chérubini avait désigné pour son successeur, dans les fonctions de directeur du Conservatoire de musique, M. Halévy, son élève affectionné, celui auquel il a transmis tout ce qu’il y a de transmissible dans l’héritage du génie. L’administration en a décidé autrement, et, quelque respect que nous ayons pour les dernières volontés du grand maître, nous ne pouvons que louer l’administration, dont le choix s’est fixé sur M. Auber. Le gouvernement du Conservatoire ne pouvait tomber en des mains plus dignes et plus capables. Avant tout, il faut, à la tête de cette