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REVUE — CHRONIQUE.

marcha ensuite sur Candahar, battit l’armée des Barukzis et mit le siége devant la ville royale. Dost-Mohammed désespérait tellement de la partie, qu’il offrit aux Anglais de reconnaître leur suzeraineté, mais le gouvernement de l’Inde lui refusa toute intervention, comme il l’avait déjà refusée à Soudja[1]. On dit que le Barukzi délibéra un instant s’il ne se soumettrait pas à son ancien souverain, mais il craignit sa vengeance, et se détermina à tenter jusqu’au bout la fortune des armes. Il réunit tous ses frères, marcha avec eux sur l’armée de Soudja, et, le 29 juin 1834, défit complètement le Sudozzi, qui s’enfuit de nouveau sans couronne et sans armée jusqu’à Loudiana.

Après cette victoire inespérée, le Dost resta en paisible possession de Caboul. Jusqu’alors il ne s’était maintenu qu’à force de politique, et même en s’appuyant sur des élémens étrangers à la nationalité afghane. Depuis la conquête de Nadir, il s’était établi, dans Caboul et aux environs, une colonie de Persans, appelés aussi Kouzilbashis, qui exerçaient une influence puissante dans les affaires de l’Afghanistan. Burnes, dans la relation de son grand voyage, porte leur nombre à douze mille familles, mais des relations plus récentes ne l’évaluent qu’à quatre mille. Ils habitaient un quartier séparé dans Caboul, et l’esprit de corps qui les unissait les rendait très influens dans les nombreuses révolutions du pays. Dost Mohammed était un Barukzi, mais sa mère était persane ; il tenait donc aux deux nations, et pendant long temps il avait employé toutes les ressources de sa politique à se concilier la colonie des Persans. Il savait leur langue et protégeait leurs priviléges ; et dans les conmencemens de sa fortune, il dut son trône à l’appui d’un des plus vieux chefs persans, Mohammed-Khan-Byat. Cependant il y avait un obstacle à la politique à double tranchant de l’astucieux Barukzi, et cet obstacle était dans la diversité des croyances religieuses. Les Persans sont shiites, les Afghans sont sunnites. On sait que Mahomet ne laissa qu’une fille, Fatime, qui épousa son premier disciple Ali. Après la mort du prophète, les chefs arabes lui donnèrent pour successeur Aboubekre, qui prit le titre de calife. Ali protesta contre cette élection, et quand, en 655, il devint quatrième calife, les musulmans se divisèrent en deux sectes. Les shiites sont ceux qui regardent Ali comme le successeur immédiat du prophète, et les trois premiers califes comme des usurpateurs ; les sunnites sont ceux qui reconnaissent l’ordre de succession historique. Après sa victoire sur Soudja, Dost-Mohammet se crut assez fort pour se passer des Persans, dont l’influence excitait la jalousie des Afghans. Il prit le titre d’émir qui a, dit-on, une signification religieuse sunnite, et s’aliéna toute la colonie persane. Les shiites, alarmés, se rassemblèrent dans Caboul et se fortifièrent dans leur quartier. Toutefois ils ne prirent pas les armes et ils sont restés depuis lors sur la défensive. Burnes, dans sa dernière mission, écrivait au gouvernement de l’Inde : « Bien que leur influence militaire (des Persans) soit considérablement diminuée, cependant leur puissance s’est accrue d’un autre côté, car

  1. Parliamentary papers. Correspondence relative to Afghanistan. C. Wade’s Letter.