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inouies à cause de ce joyau précieux. Quand il était prisonnier d’un de ses visirs à Attock, la lancette fut souvent approchée de ses yeux, et un jour son gardien l’entraîna, les mains liées, au milieu de l’Indus, en le menaçant de la mort. En sortant de prison, il tomba entre les mains du roi de Lahore, qui le mit aussi à la question pour se faire livrer le diamant. Il paraît qu’il le passa alors entre les mains d’une de ses femmes, Ouaffadar Begoum, qui était d’un grand courage et défendit obstinément le secret du Koh-i-Nour. Elle menaça un jour Runjet-Singh de broyer le diamant dans un mortier, de le faire avaler par les femmes de sa suite, et d’en avaler sa part. Ce ne fut que la faim qui put forcer Soudja à livrer ce dangereux diamant, qui resta entre les mains de Runjet. La manière dont la Begoum tira Soudja des mains rapaces du roi de Lahore est très romanesque. Elle était à Loudiana, et disposa des relais sur toute la route. Soudja, de son côté, loua toutes les maisons contiguës à celle où il était surveillé, et lui et ses gens s’ouvrirent une issue en perçant sept murs. Au milieu de la nuit, Soudja descendit dans la rue, vêtu comme un habitant du Pundjab, et, ne pouvant sortir par les portes de la ville qui étaient closes, il passa en rampant par un égout, avec deux domestiques, et parvint ainsi à s’échapper.

Il paraît que ses nombreuses infortunes ne l’ont jamais corrigé. Après que les Anglais l’eurent rétabli sur son trône en 1839, il recommença le cours de ses extravagances. Il indisposa la population en entretenant une nombreuse garde du corps, composée d’étrangers qui couraient devant lui en tenant le peuple à distance avec leurs fusils ; il avait aussi amené de Loudiana une troupe de favoris qui levaient tribut sur tout le monde. Mais ce qui offensa surtout les Afghans, et ce qui sans doute contribua beaucoup à amener l’insurrection, c’est que le shah avait à sa solde une garde de Seiks dans le costume de leur pays, ce qui était un sanglant outrage et un intolérable scandale pour les mahométans[1].

Bien différent, au dire de Burnes, était le Barukzi. « La renommée de Dost-Mohammed, disait en 1832 l’officier anglais, retentit aux oreilles du voyageur longtemps avant qu’il entre dans les possessions de ce chef ; aucun ne mérite mieux la réputation qu’il a acquise. L’attention qu’il donne aux affaires est infatigable ; chaque jour il assiste au tribunal avec le cadi et les mollahs pour prononcer sur toutes les causes… Il a donné de très grands encouragemens au commerce, et le marchand peut voyager sans escorte d’une frontière à l’autre, chose inouie du temps des rois d’Afghanistan… Sa justice fournit un sujet continuel de louanges à tout le monde… On est frappé de l’intelligence, des connaissances et de la curiosité qu’il montre, ainsi que de ses manières aisées et de son ton excellent. Il est indubitablement le chef le plus puissant de l’Afghanistan, et pourra encore, par son habileté, s’élever à un plus haut rang dans son pays natal[2]. »

Le Dost semblait, en effet, montrer une ardeur extraordinaire pour s’in-

  1. Mémoire sur Alex. Burnes.
  2. Travels, t. III, l. ii, c. ii.