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pas. La nappe enfin, quand nappe il y a, est fréquemment salie, par places, de grosses gouttes de cette vieille lie rabelaisienne.

Mieux vaudrait, mieux vaut alors que tout déborde, que le jus fermente : l’image bachique a aussi sa grandeur. Ronsard, en je ne sais plus quel endroit, s’écrie :

Comme on voit en septembre, aux tonneaux angevins,
Bouillir en écumant la jeunesse des vins…

Cela est chaud, cela est poétique, et nous rend Anacréon encore, lequel, en sa Vendange, a parlé du jeune Bacchus bouillonnant et cher aux tonneaux.

Mais, d’ordinaire, on reconnaît bien plutôt le coin d’Anacréon en eux à quelque chose de léger, à je ne sais quel petit signe, comme celui auquel il dit qu’on reconnaît les amans[1].

Baïf, l’un des plus inégaux parmi les imitateurs des anciens, et qui a outrageusement gâté l’Oaristys et la Pharmaceutrie[2], a eu de singuliers éclairs de talent, et, si l’on ne peut dire précisément que c’est à Anacréon qu’il les doit, puisque c’est plutôt avec Théocrite et Bion qu’il les rencontre, il se ressent du moins alors du voisinage et ne sort pas de l’anacréontique. On sait les gracieux vers de son Amour vangeur ; l’amant malheureux, près de se tuer, y parle à l’inhumaine :

Je vas mourir : par la mort désirée,
Ma bouche ira bientôt être serrée ;
Mais ce pendant qu’encor je puis parler,
Je te dirai devant que m’en aller :
La rose est belle, et soudain elle passe ;
Le lis est blanc et dure peu d’espace ;
La violette est bien belle au printemps,
Et se vieillit en un petit de temps ;
La neige est blanche, et d’une douce pluie
En un moment s’écoule évanouie,

  1. Voici l’endroit et la pièce entière ; mais comment réussir à calquer des lignes si fines, une touche si simple ?

    Le fier coursier porte à sa croupe
    Du fer brûlant le noir affront ;
    Le Parthe orgueilleux, dans un groupe,
    Se détache, thiare au front ;
    Et moi, je sais d’abord celui qu’Amour enflamme :
    Il porte un petit signe au dedans de son ame.

  2. Dans les Jeux de Baïf, les églogues XVI et XVIII.