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verselle des religions. Il l’avait déjà ébauchée à Lyon, dans le cours qu’il fut appelé à y professer. Le livre qu’il vient de publier comprend les cultes anciens. M. Quinet se propose de le continuer plus tard pour le monde moderne. Je vais, afin de faire connaître ses idées avec plus d’exactitude, le suivre pas à pas dans son récit, et résumer le tableau qu’il a tracé des diverses religions de l’antiquité.

La première question qui se présente à M. Quinet est celle de l’origine des cultes, et c’est une des plus difficiles. Volney, dans les Ruines, résume avec emphase la pensée de son siècle à ce sujet, et accuse d’imposture tous les prêtres et tous les révélateurs. Mais la fraude ne peut rien de durable, et, dans les croyances qui ont eu la vertu de fonder des sociétés presque impérissables, il y a eu sans doute quelque justice et quelque vérité. Ce n’est pas tout. Avant cet habile mensonge, l’homme, sans autels et sans culte, aurait dû végéter dans l’état misérable que Rousseau a décoré du nom de nature, et ne se serait élevé que par un lent progrès jusqu’à la société civile. Or, nous ne trouvons dans les traditions aucun témoignage de cette époque ; nous avons beau remonter jusqu’aux temps les plus anciens, nous rencontrons encore des voyans, des prophètes, des peuples prosternés, une vaste adoration. Le souvenir des premiers jours est partout celui d’un immense ravissement. La langue, ce témoin le plus ingénu et le mieux informé, raconte ces augustes origines : dans les Védas, dans les livres zend, dans les documens du plus ancien style, nous la trouvons rude sans doute, indigente encore, mais plus sublime et plus sacerdotale que dans les temps postérieurs.

Du moment où jaillit dans un esprit l’idée de Dieu, cette idée qui unit l’homme à l’homme, qui sanctionne la loi, qui allume avec le sentiment de l’infini les grandes pensées et les vastes désirs, la société fut établie. Pour comprendre comment cette idée a rayonné sur les premiers peuples, il faut oublier ce qui se passe maintenant. L’homme n’a pas toujours eu les mêmes habitudes. Il n’était pas d’abord logicien et calculateur ; il ne vivait pas, comme aujourd’hui, loin de la nature, d’analyse, d’abstraction, de raisonnement ; c’étaient les jours de sa jeunesse, le matin de l’imagination. Perdu dans une magnifique ignorance, il admirait les pompes de la nature orientale. Ravis et terrifiés à cette vue, les peuples vivaient de ce sentiment qui, retiré de la foule, anime encore les ames de poète. Les nuits étoilées, les rougeurs de l’aurore, les grands monts avec leur repos, leurs chastes neiges et leurs cimes de feu, les secrètes forêts, l’immense Océan, tout leur semblait rempli d’une horreur sacrée, d’une