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DU GÉNIE DES RELIGIONS.

inspiré tout ensemble de poésie et de raison, d’une éloquence lyrique, d’un patriotisme exalté. Mais là s’arrête la ressemblance : plus loin, Görres et M. Quinet ne se rencontrent plus. L’un se délasse de ses études en recueillant les légendes et les miracles du moyen-âge ; l’autre se repose en lisant Homère ou Dante. Görres ne s’adresse au peuple que du seuil du temple ; M. Quinet ne craint pas de descendre sur la place publique. Görres a singulièrement varié : de la philosophie, il s’est jeté dans l’extrême catholicisme, mais il a changé de foi sans quitter jamais la certitude. M. Quinet n’est pas autant à l’abri du doute : c’est par le doute qu’il a commencé ; sa parole semble quelquefois encore émue comme par une secrète contestation, et il ne demeure pas étranger à cette lutte qui se poursuit si douloureusement aujourd’hui entre l’avenir et le passé, entre les croyances anciennes et les besoins nouveaux.

M. Quinet se distingue du reste par une qualité éminemment française, le soin de la forme. En Allemagne, on néglige à l’excès le style ; les ouvrages les plus remarquables par la science et la profondeur sont trop souvent presque illisibles, et l’on ne se fait aucun scrupule de parler dans une langue barbare des plus beaux chefs-d’œuvre de la Grèce. M. Quinet est artiste aussi bien que penseur : la raison et l’imagination sont même chez lui si intimement unies, que l’une ne se passe jamais de l’autre, et qu’elles ne forment plus, à vrai dire, qu’une seule faculté. Le secours qu’elles se prêtent n’est pas sans être un peu perfide, et elles s’embarrassent quelquefois en voulant s’aider. Ce vif sentiment de l’art a eu, malgré cela, une influence heureuse sur M. Quinet, en lui donnant un besoin de personnalité qui a combattu un panthéisme d’abord très prononcé. Cette lutte et ce progrès se remarquent bien dans le recueil de mélanges, que M. Quinet a publié sous le titre d’Allemagne et Italie, surtout dans ses études sur l’épopée, où l’auteur fait justice des exagérations de la critique moderne, attaque les hypothèses de Wolfe et de Niebuhr, et restitue l’Iliade et l’Odyssée à Homère, ce prince des poètes que dans la première manie du symbole on voulait réduire à n’être plus que le nom magnifique d’une foule inconnue.

Dans les ouvrages de M. Quinet que j’ai rappelés, dans ses morceaux détachés comme dans ses deux poèmes, il se préoccupe toujours de l’histoire religieuse de l’humanité, parce qu’il y voit le principe et la raison de tous les autres évènemens ; mais il n’avait guère fait jusqu’ici qu’indiquer ses pensées à ce sujet sans les développer nulle part avec étendue. Il entreprend aujourd’hui une histoire uni-