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DU GÉNIE DES RELIGIONS.

allait de ville en ville, le long du fleuve, pour pleurer la mort du dieu et célébrer sa passion. Quand le soleil dans les cieux et les eaux du fleuve sur la terre commençaient ensemble à remonter, on célébrait la résurrection du dieu délivré du tombeau. Hérodote a remarqué la tristesse qui faisait le caractère de la religion égyptienne ; c’est que la mort d’Osiris en était la grande pensée, et aucun peuple n’a vécu en se souvenant si bien de la mort : elle était son habituelle méditation. Aucun peuple non plus n’eut comme les Égyptiens l’ambition de l’éternité, et n’a laissé de son passage de plus durables témoins. Ses institutions ont persisté, inaltérables, à travers les siècles, et ses temples, ses pyramides, ses colosses, semblent indestructibles comme les monumens de la nature.

L’Égypte enfin accommode le sentiment naissant de la personnalité avec le panthéisme de l’Orient. L’homme n’y est point, comme dans l’Inde, impatient de s’abîmer dans le grand tout ; il s’efforce au contraire de murer sa vie privée au milieu de la vie universelle. Ce sentiment précoce d’individualité s’exprime jusque dans l’architecture, et les Pharaons élèvent leurs statues de granit en face de la demeure des dieux, comme s’ils voulaient durer autant qu’eux.

Il ne restait plus à M. Quinet, pour achever ce tableau de l’Orient, qu’à y placer les peuples sémitiques, chaldéens, phéniciens, syriens, hébreux : je ne parle pas des Arabes, qui n’apparaissent dans l’histoire religieuse qu’avec les temps modernes. À Babylone, Tyr, Sidon, Carthage, adoration du soleil et des astres, dans laquelle M. Quinet retrouve encore le culte de la lumière ; seulement cette lumière n’est plus l’éclat partout répandu, elle s’est incarnée dans les astres, et les dieux semblent avoir quitté leur enfance pour une brûlante jeunesse. Ils ont grandi avec le temps : ce ne sont plus ces agrestes et sublimes divinités que le berger appelait auprès de l’offrande de laitage et du feu de son âtre. En Chaldée et sur les rivages de la Phénicie, leurs désirs se sont éveillés. La nature, la grande déesse, se consume d’amour pour le seigneur de la vie, Bel, Baal, Adonis, quel que soit son nom. Le mystère de leurs épousailles se célèbre dans des fêtes affreuses, et, pour honorer ces dieux cruels et voluptueux, il faut le sang des victimes humaines, les hontes de la prostitution et le ténébreux enthousiasme des orgies.

La religion hébraïque est bien différente. C’est en elle que se réunissent, comme dans un même foyer, tous les rayons épars et dispersés dans les autres cultes. Elle garde ce qu’il y a de vital et de vrai dans le paganisme, elle en rejette l’erreur, et ainsi elle l’ap-