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main, et ils restèrent un peu en arrière, parlant à voix basse. Mme Godefroi prêta l’oreille à cet entretien, et elle entendit le comte Armand dire avec émotion : — Ma mère, je reviendrai vous voir. Je ne veux plus passer ainsi des années loin de vous. Si mon père s’oppose à un désir si juste, je lui désobéirai. — Non, mon cher enfant ; non, je vous en prie, répondit Mme de Blanquefort ; respectez la volonté de votre père. Je m’y soumets sans murmure, et pourtant c’est une grande joie pour moi que votre présence, la plus grande joie que Dieu puisse m’accorder !

— Ce qui se passe ici est inconcevable, pensa Mme Godefroi en regardant furtivement le fils et la mère, qui tous deux avaient les larmes aux yeux.

Un quart d’heure après, le marquis et le comte Armand remontèrent en voiture. Quand les deux femmes furent seules. Mme Godefroi vint droit à sa sœur et lui dit : — Cécile, il faut que vous ayez confiance en moi. Vous êtes la meilleure des femmes, et votre mari me paraît un fort galant homme ; pourtant vous vivez désunis, malheureux. Quelque déplorable malentendu vous a sans doute séparés, mais vous me direz tout, et nous réparerons le mal produit par des sentimens exagérés, par une fausse appréciation des choses ou peut-être par le hasard des évènemens. Allons, ma chère Cécile, un peu de confiance et d’abandon ; après avoir versé tant de larmes dans la solitude et l’isolement, pleurez sans contrainte devant votre sœur qui pleure avec vous.

En achevant ces mots, Mme Godefroi chercha la main de la marquise, qui, penchée à la fenêtre, semblait regarder la voiture déjà près de disparaître au fond du chemin.

— Ma chère Cécile, venez, reprit la vieille dame ; venez, il faut que nous parlions de vous, de vos enfans.

Mme de Blanquefort se releva et fit quelques pas en chancelant ; puis, se retenant au bras de sa sœur, elle murmura : — Mon Dieu ! les forces me manquent. Je me sens mourir, ma sœur !

Elle n’acheva pas, ses genoux faiblirent, et elle tomba inanimée sur le parquet. Mme Godefroi, effrayée, appela au secours et se hâta de dénouer les cordons qui serraient la robe de Mme de Blanquefort ; mais ce qu’elle aperçut alors lui fit détourner les yeux avec une exclamation d’horreur : la marquise portait sur la poitrine nue un cilice dont le rude tissu de crin, parsemé de clous, meurtrissait ses chairs et lui infligeait une torture continuelle.

— Elle est folle, tout-à-fait folle ! s’écria Mme Godefroi en lui arra-