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LE DERNIER OBLAT.

chant le cilice avec une pitié mêlée d’indignation. Oh ! triste victime ! déplorables erreurs ! funestes infirmités de l’ame humaine ! voilà les fruits d’une religion aveugle et des stupides vertus qu’elle enseigne !

En déclamant ainsi, Mme Godefroi relevait sa sœur et la serrait dans ses bras avec un transport de douleur qui montrait bien que chez elle l’habitude de raisonner à propos de tout n’avait pas éteint la tendresse et la sensibilité du cœur.

Toute la maison était accourue ; l’abbé Girou lui-même, qui veillait encore près de son élève endormi, était descendu au salon. Mme Godefroi l’aperçut au moment où l’on transportait la marquise, toujours évanouie, dans sa chambre. — Monsieur l’abbé, vous assistez au supplice d’une martyre, lui dit-elle amèrement ; sans doute, vos exhortations la soutiennent au milieu des supplices qu’elle s’inflige. Soyez fier et satisfait de votre ouvrage. Bientôt elle mourra comme une sainte, et quelque jour peut-être elle sera béatifiée en cour de Rome.

— Je ne suis pas le directeur de Mme la marquise, répondit l’abbé avec douceur ; elle ne me consulte point relativement à ses pratiques de dévotion. Cependant, tout exagérées qu’elles paraissent, je les lui conseillerais peut-être si j’étais appelé à la diriger : ceux qui comme vous, madame, ont toujours vécu dans la paix et la prospérité, ne comprendront pas le but de ces mortifications ; mais ceux qui ont éprouvé les agitations, les longs désespoirs auxquels notre vie ici-bas est sujette, savent que les souffrances du corps sont bonnes contre celles de l’ame. Ce ne serait pas en vue de son salut éternel que j’exhorterais Mme la marquise à la prière, aux austérités, à toutes les pratiques d’une dévotion excessive, ce serait pour son repos, pour sa consolation en ce monde.

— Ceci a un sens raisonnable, murmura Mme Godefroi pensive ; et, saluant l’abbé d’un air radouci, elle entra dans la chambre de sa sœur.

La marquise avait repris connaissance, mais elle était d’une faiblesse extrême. Couchée sur son lit, la tête renversée en arrière et les yeux fixés au ciel, elle semblait prier dans les terreurs et les défaillances de la dernière agonie. Au milieu de ses angoisses, elle fit signe à sa sœur de congédier tout le monde et de fermer la porte de la chambre. Cette pièce, où Mme Godefroi n’était pas encore entrée depuis son arrivée, était la chambre de demoiselle de la marquise, et rien non plus n’y avait été changé. Mais la vieille dame