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TRÉFLEUR.

On a beaucoup parlé à Coblentz, pendant l’émigration, du chevalier de Tréfleur. Le pauvre chevalier mit fin à ses jours de la façon la plus romanesque ; un matin, par un beau ciel, il se jeta dans les eaux vertes du Rhin, en tenant une femme entre ses bras. Pour un étudiant de Carlsruhe ou de Weimar, c’eût été une mort fort convenable ; c’était un déplorable trépas pour un gentilhomme français. Comme le disait avec raison la maréchale de M……, le suicide a quelque chose de républicain et de roturier. Aussi Tréfleur fut-il blâmé très durement. Sa tante, Mlle de Kerguen, qui était une personne fort pieuse, fut affligée d’une façon toute particulière, et son oncle, le commandeur de Tréfleur, qui s’était trouvé à Fontenoy, dit qu’il était accoutumé à voir sur le front d’un homme de sa race le sang d’une noble blessure reçue dans une affaire d’honneur ou dans un combat, non pas l’écume et le limon d’une rivière. Eh bien ! Tréfleur ne méritait pas les reproches qu’on fit à sa mémoire. Il avait pour le suicide le mépris le plus profond, et, s’il avait été las de la vie, ce n’est pas à l’eau ou au charbon qu’il eût demandé la mort. Pourquoi donc se tua-t-il ? — Moi, je prétends qu’il ne se tua pas. — Et pourtant ce fut bien son corps qu’on retira du Rhin ? — Oui ; mais son ame ne résidait plus dans son corps quand ce corps tomba dans le fleuve. — Un seul homme a pu connaître le secret de ce trépas ; c’est un médecin dont tout à l’heure on saura le nom. Je tiens de lui