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elle saurait, tout Allemande qu’elle était, tirer comme une Espagnole une fiole de poison ou un poignard de son corsage de mariée.

Ainsi donc nous savons maintenant tout ce qui se passe dans le cœur de la jeune fille que nous voyons agenouillée avec la couronne nuptiale sur la tête, devant le grand autel de Saint-Castor, à côté du chevalier de Tréfleur. Marguerite n’a point de diamans, la disparition de cette parure est restée un mystère pour le conseiller Bosmann ; mais, comme le lui a dit galamment Tréfleur, sans faire pour cela un grand effort d’imagination, elle a bien assez, pour briller et séduire, de ses beaux cheveux dorés où tombent en ce moment les rayons du soleil. Le chevalier a une toilette qui présente un ensemble de couleurs doux et tendre. Il est poudré avec le plus grand soin ; il jette par instans des regards victorieux sur les femmes à grands paniers qui abondent dans l’église, avec cet air de joie triomphante et railleuse que prend un époux libertin en promenant ses yeux des joues fardées de ses anciennes maîtresses aux joues fraîches et roses de son épousée. Le conseiller Bosmann avait pensé, d’après le caractère sentimental de sa fille, qu’une fois le mariage célébré, elle aurait hâte d’aller cacher son bonheur dans quelque retraite inaccessible, et il avait fait préparer une charmante petite villa qu’il possédait à une demi-lieue de Coblentz, sur les bords du Rhin ; mais, l’avant-veille du mariage, Marguerite déclara qu’elle ne quitterait pas l’église pour commencer, dès le milieu de la journée, un tête-à-tête avec son mari. Elle voulait danser le jour de ses noces, suivant la vieille coutume populaire, et danser le plus tard possible ; elle n’irait à la campagne qu’à minuit ; ce voyage à la belle étoile serait charmant. Si bizarre que fût cette fantaisie, il fallut y céder. Au lieu d’une chaise de poste, il y a devant Saint-Castor une suite de lourds carrosses, avec des cochers enrubannés, qui doivent ramener toute la noce à la maison du conseiller Bosmann.

Jamais sein de fiancée n’a renfermé de plus brûlantes émotions que celui de Marguerite pendant cette longue journée. Son attente, à elle, était bien autre chose que celle qui trouble d’ordinaire le cœur et le cerveau des jeunes filles. Situation étrange et terrible ! Ce qu’elle se demandait, ce n’était point quelles voluptés inconnues lui apporteraient les sublimes effusions de l’amour, c’était quelle ame frémirait sur les lèvres qui se poseraient le soir même sur son front ; si, dans ce premier baiser qui doit confondre les joies du cœur et celles des sens, tout le bonheur de la terre et tout le bonheur du ciel, elle sentirait l’ame de son bien-aimé ou une ame dont les caresses lui semblaient une flétrissure. Plus l’instant approchait, plus son anxiété