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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/365

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L’ARCHIPEL DE CHAUSEY.

poids. Pendant mon séjour, un quartier de roc, de plus de cent mille kilogrammes, fut détaché de la masse, jeté à plusieurs mètres de distance, et cela par un coup de mer qui n’avait pas empêché les pêcheurs de continuer leurs travaux journaliers.

Il paraît que les îles Chausey n’ont pas toujours été aussi éloignées du continent qu’elles le sont de nos jours. Une tradition, universellement répandue sur cette partie de notre littoral, veut que cette masse granitique ait formé jadis la tête d’une digue de roches protégeant de vastes marécages et une forêt considérable, aujourd’hui ensevelie sous les flots. Quelques écrivains, se fondant sur d’anciens documens, ont même cru pouvoir assigner l’an 709 de notre ère comme l’époque probable de cette catastrophe. Les faits géologiques donnent une certaine valeur à cette croyance populaire ; les couches végétales, connues sous le nom de forêts sous-marines, qu’on rencontre tout autour de la baie du mont Saint-Michel, semblent la confirmer pleinement. Lorsqu’une violente tempête vient battre le rivage et bouleverser le sol, elle met quelquefois à nu ces antiques dépôts habituellement recouverts de vase ou de sable blanc. Alors, à la place de ces belles grèves, se présente un terrain noirâtre renfermant des arbres entiers, couchés les uns sur les autres dans une direction uniforme. Les espèces en sont très faciles à distinguer. Les plus communes sont le chêne, l’if et le bouleau. Le tronc de ces arbres semble d’abord passé à l’état de terre d’ombre ; mais, par son exposition à l’air libre, il reprend de la consistance et se fonce en couleur. Le chêne surtout acquiert la dureté et le noir luisant de l’ébène : aussi l’emploie-t-on aux mêmes usages et en fait-on des meubles assez recherchés. Ces arbres reposent sur un sol qui semble avoir été une prairie. On y rencontre des joncs, des asperges, des fougères, etc. Toutes ces plantes sont en place et ont conservé leurs parties les plus délicates ; les roseaux renferment encore leur moelle légère, et les racines des fougères présentent ce duvet délié qui les recouvre pendant leur végétation.

Quoi qu’il en soit des antiques relations des îles Chausey avec la terre ferme, toujours est-il qu’elles ont eu jadis une bien autre importance qu’aujourd’hui. Ce petit coin du globe a son histoire tout aussi bien que les plus grands empires. Il y existait de toute ancienneté une abbaye qui, d’abord indépendante, devint tributaire du monastère du mont Saint-Michel, par suite d’un édit de Richard Ier, duc de Normandie. Elle était primitivement desservie par des bénédictins ; mais vers 1343 Philippe de Valois en fit don aux cordeliers.