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des plus durables. Ces bonnes gens croyaient que je vivais sans sommeil, et plus d’un m’en a témoigné son étonnement avec une parfaite naïveté.

Peut-être sera-t-on surpris de m’entendre parler de froid et d’humidité, en songeant que j’étais à Chausey pendant les mois de juillet et d’août. Mais qu’on se rappelle ce que fut à Paris l’été de 1841, et qu’on songe que je me trouvais en pleine mer, à trois lieues de cette côte occidentale de la France ou même dans les années ordinaires un beau jour est presque chose rare. À peine ai-je vu six à sept fois le soleil pendant mes trois mois de séjour. La pluie ou la bruine ont été les compagnes fidèles de presque toutes mes courses. Souvent je suis rentré mouillé de telle sorte, que, faute d’habits de rechange, j’étais forcé d’attendre dans mon lit que le feu de la ferme eût séché mes vêtemens. Le vent du sud-ouest, frappant en plein sur ma porte, en avait si bien relâché les jointures, qu’à la moindre averse j’étais inondé. Peu de jours après mon arrivée, je m’éveillai un beau matin avec six pouces d’eau sous mon lit. Pour éviter d’être entièrement envahi, je dus faire un trou au plancher dans l’endroit le plus déclive, et, grace à cette précaution, je n’eus plus chez moi qu’une rivière au lieu d’un lac. Tous mes instrumens d’acier se couvrirent de rouille, le miroir métallique de ma camera lucida fut entièrement perdu, et j’eus quelque peine à protéger le cuivre de mon microscope. Le sel fondait dans ma salière, et une livre de sucre oubliée pendant quinze jours au fond de mon armoire se trouvait, au bout de ce temps, convertie en sirop.

Mais ces désagrémens étaient bien vite oubliés, lorsque, par une grande marée de nouvelle ou de pleine lune, je montais dès le matin dans le bateau de maître Hyacinthe, et me faisais transporter à l’Enseigne, aux Corbières ou à l’Île aux Oiseaux. Pour atteindre jusqu’aux zones basses que je voulais explorer, j’avais à faire des trajets souvent assez longs et toujours pénibles, tantôt sur des bancs de vase où j’enfonçais jusqu’à mi-jambe, tantôt à travers des roches entassées et couvertes de fucus. C’est ici surtout que mes habitudes d’enfance et mon pied de montagnard me furent utiles. Je me tirais glorieusement de ces mauvais pas, et souvent mes braves pêcheurs parurent tout surpris de voir un monsieur franchir avec rapidité ces roches escarpées ou ces pentes glissantes. Arrivé sur le bord de l’eau, je commençais à rouler des pierres, et, comme les plus grosses me cachaient d’ordinaire les animaux les plus curieux, j’y employais toutes mes forces. L’épiderme de mes mains s’usait bien vite contre les