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LE DERNIER OBLAT.

auxquels l’entrée des autres bâtimens claustraux était interdite. Il ne se permit aucune question, même indirecte, sur les clameurs effrayantes qu’il avait entendues. Pourtant ce souvenir lui laissa un vague sentiment de curiosité et une secrète compassion pour la triste créature qu’il avait vue errer au milieu de la nuit, comme une ame échappée du purgatoire.

C’était le père Anselme qui disait la messe conventuelle, et aucun des religieux n’était dispensé d’assister à cette solennité de chaque jour. Le plus léger prétexte suffisait pour ne pas paraître aux offices ; mais chaque matin, quand le prieur montait à l’autel, il fallait que la communauté tout entière fût agenouillée dans le sanctuaire. Les religieux infirmes, les malades même, accomplissaient ce devoir tant qu’ils avaient la force de se traîner jusqu’à l’église, et lorsqu’une des soixante stalles du chœur demeurait vide, on faisait des prières pour celui qui l’occupait ordinairement, car il devait être en danger de mort.

Estève avait repris sa place entre les novices ; mais, sur un signe du père-maître, il se rapprocha de l’autel et vint se mettre à genoux devant un prie-dieu sur la tablette duquel il y avait un livre fermé.

— Mon cher fils, lui dit à voix basse le père Bruno, sa paternité va dire la messe à votre intention, afin que Dieu vous donne une bonne vocation et la grace de faire votre salut sous l’habit de saint Benoit.

Ce pieux témoignage d’affection et de sollicitude toucha vivement Estève ; la vague impression d’abattement et de tristesse que lui avaient laissée les émotions de la nuit se dissipa entièrement, et il retrouva au fond de son cœur la foi, les saintes espérances qui l’animaient la veille, lorsqu’il avait fléchi le genou pour recevoir la bénédiction pastorale du prieur de Châalis.

Les cérémonies du culte avaient dans les monastères un caractère particulier de solennité et de grandeur. Celles même qu’on y pratiquait journellement étaient imposantes. La messe conventuelle, quoiqu’elle ne durât guère qu’une demi-heure, ne ressemblait pas à une de ces messes basses qu’un pauvre prêtre dit à la hâte au fond d’une église déserte ; peut-être, chez les moines, n’y avait-il pas au fond plus de ferveur, mais l’habitude des exercices religieux leur donnait du moins l’apparence du recueillement, d’une pieuse gravité. Les splendeurs qui rayonnaient autour de l’autel ajoutaient encore à la pompe du sacrifice, et même pour une ame frivole, livrée à toutes les préoccupations mondaines, c’eût été un grand spectacle que celui qui frappa les regards d’Estève lorsque le prieur de Châalis monta