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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/418

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Viens alors, murmura le vieux moine en le relevant et en le serrant contre sa poitrine avec une joie triste.

Ils entrèrent dans la sacristie, où le prieur les attendait. Le maître des novices ne s’était pas trompé dans ses prévisions : déjà le jour de la cérémonie était fixé.

— Mon cher fils, dit le prieur, mettez-vous à genoux, et rendez grace à Dieu. Le moment est enfin venu où vous serez à lui sans partage et sans retour. Aujourd’hui même vous entrerez en retraite. C’est demain la fête de la nativité de la glorieuse Vierge Marie ; le dernier jour de l’octave, vous prononcerez vos vœux.

Estève reçut cette nouvelle sans trouble. Prosterné devant le crucifix, il priait humblement, et demandait à Dieu les secours de la grace pour s’élever au sentiment de son bonheur, car il était effrayé en lui-même de la tiédeur de sa reconnaissance et de sa joie à cette heure solennelle. Tandis qu’il se recueillait et s’exhortait ainsi à une vocation plus fervente, le prieur donnait à mi-voix ses instructions au père-maître pour le temps de la retraite.

— Mon père, lui dit-il en finissant, il est inutile d’inviter des étrangers à la cérémonie, le novice n’ayant pas de famille qui doive y assister. J’écrirai de ma main à M. le marquis et à Mme la marquise de Blanquefort pour leur annoncer la profession du frère Estève, afin qu’ils s’unissent d’intention à nos prières et à tous les actes de ce grand jour.

— Et la parente de notre jeune novice, Mme Godefroi, sera-t-elle aussi prévenue ? demanda le père-maître ; votre paternité sait qu’elle doit venir sous peu de jours, selon sa promesse, revoir le frère Estève.

— Je ne l’ai pas oublié, répondit le prieur avec un sourire qui eût dévoilé toute sa pensée au père-maître, s’il ne l’eût depuis longtemps devinée ; la veille de la cérémonie, la veille seulement, vous écrirez à cette dame.

Chez les bénédictins de Châalis, le novice qui allait faire profession était obligé à des austérités qu’il n’avait point pratiquées pendant ses deux années d’épreuve, et qui ne devaient jamais se renouveler. Il passait huit jours en retraite dans une cellule plus triste et plus nue que celle d’un moine de l’étroite Observance. Ses regards, habitués à l’élégance modeste, à l’aspect riant d’un autre séjour, ne s’arrêtaient plus que sur des objets lugubres. Deux tréteaux recouverts d’une natte lui servaient de lit. À côté du sablier, il y avait une tête de mort, et sur les murailles blanches on avait écrit en lettres noires