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LE DERNIER OBLAT.

de funèbres paroles, des allégories menaçantes, des sentences qui rappelaient le jour du jugement, les tortures du purgatoire, et les tourmens éternels de l’enfer. La fenêtre de cette cellule donnait sur le cimetière, et celui qui l’habitait temporairement se trouvait, pour ainsi dire, placé sur un terrain neutre entre les vivans et les morts. Le novice, une fois en retraite, ne pouvait parler qu’au père-maître, qui était son confesseur, et au prieur, si celui-ci jugeait convenable de venir le visiter. Il ne sortait de sa cellule que pour descendre au chœur, où il avait une place à part. Au milieu de la nuit, il devait se lever, et aller dire l’office seul dans l’église. Après quelques jours d’une telle vie, lorsque le jeûne, la méditation, les longues prières, et surtout le sombre isolement où il s’était trouvé, avaient agi sur les sens et sur l’imagination du novice, il désirait ardemment le jour de sa profession, qui était aussi celui de sa délivrance, de son retour à une existence dont il venait d’apprécier par comparaison la douceur et les tranquilles félicités.

Le père-maître conduisit Estève à cette fatale cellule. Il avait si souvent accompli le même devoir envers d’autres novices, qu’il s’était accoutumé à l’aspect de ce lieu sinistre. Il était d’ailleurs si peu porté aux idées mélancoliques, il y avait en lui une si grande disposition au contentement d’esprit, qu’aucune influence ne pouvait l’attrister et l’abattre long-temps.

— Mon cher fils, dit-il à Estève, cette cellule n’est pas si riante et si bien ornée que celle que vous quittez, mais le dénuement de cette chambre n’affligera pas long-temps vos yeux. Allons, point de faiblesse, point d’abattement. Priez Dieu, lisez votre formulaire, et songez que bientôt vous serez hors d’ici.

— Mon père, répondit Estève, je ne sens ni frayeur ni regrets ; mais mon ame est triste jusqu’à la mort.

— Cela passera, mon cher fils ; c’est l’horreur de la solitude où vous allez rester qui vous trouble ainsi. Rassurez-vous, je ne vous abandonnerai pas, je serai près de vous souvent.

— Combien de graces je vous dois, mon père ! dit Estève avec attendrissement ; après Dieu, vous êtes mon soutien, mon refuge, mon espoir. Quand je souffre, vous avez des paroles qui guérissent mon ame ; votre voix seule me ranime et me console. Oui, je suis calme à présent ; cette angoisse qui me serrait le cœur est passée.

— Bien, mon fils ; voici la nuit, allumez votre lampe et tâchez de vous arranger ici. Dans une heure, vous ferez collation avec ce que vous apportera un frère convers, puis vous vous coucherez, car