tine dans le camp de la philosophie. Le Producteur n’était pas une école critique ; il avait une doctrine : il rêvait déjà cette réorganisation sociale dont nous avons vu depuis l’essai, et qui a produit, pour ses résultats les plus clairs, une société en commandite, et une révolution dans les costumes imitée du Télémaque. Quelle est au fond la portée de ce reproche d’impuissance dont les ennemis de l’éclectisme font tant de bruit ? Le Globe et ceux qui, comme M. de Rémusat, sont restés fidèles à son esprit, sont-ils frappés de stérilité par la philosophie à laquelle ils appartiennent ? Ne peut-on étudier l’histoire sans immobiliser la science, et Leibnitz l’a-t-il reportée en arrière parce qu’il a renouvelé en la surpassant la métaphysique d’Aristote ? Proclamer que tout se tient dans la vie de l’humanité, est-ce dire que l’avenir est tout entier dans le passé ? et si le progrès est continu, s’ensuit-il qu’il n’existe pas ? L’école du temps sera toujours la première, et les doctrines s’enchaînent comme les évènemens. Dans les sciences, expliquer les créations de Dieu par quelque rêve fantastique ; dans la société, construire l’homme sur la théorie, et non pas la théorie sur l’humanité ; en philosophie, s’isoler de toutes les traditions, et, pour créer une synthèse plus magnifique, oublier le monde des faits et dix-huit siècles d’un laborieux enfantement, c’est méconnaître le caractère et la dignité de la science. Le philosophe est celui qui étudie et ne rêve pas, qui critique avant de produire, qui va à l’école de l’expérience et de l’histoire, qui redoute les aventures, ne marche qu’en assurant sa route, se tient le plus près possible des maîtres, et ne s’en sépare que vaincu par l’évidence et après avoir lutté contre ses propres découvertes.
Dans cette double nature de l’éclectisme plutôt critique dans la forme, et dans le fond plutôt dogmatique, est toute l’histoire du Globe. Ces jeunes esprits qui ne cédaient d’abord qu’à des sympathies et à des besoins, et qui n’avaient au commencement de fixe et d’arrêté que leur méthode, s’aguerrirent et se formèrent peu à peu ; ils apprirent à discerner sous chaque erreur la part de vérité qu’elle contenait, et, plus mûrs au moment où leur société allait se dissoudre, ils avaient enfin, non un système, mais les bases d’un système ; non une religion, mais une doctrine philosophique. Tandis que les esprits ambitieux se jetaient dans les extravagances de l’école saint-simonienne et de l’école humanitaire, les esprits calmes et réfléchis, les philosophes en un mot, s’affermissaient et s’établissaient dans le rationalisme.
En publiant un livre qui est une exposition et une défense des