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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/440

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parce qu’ils répondent aux sympathies des cœurs flétris et des intelligences corrompues ; qui se vantent de posséder une doctrine positive et dogmatique, parce qu’ils admettent le phénomène aux dépens de la substance, et qu’ils sacrifient l’esprit au corps, et le plus au moins. Ils ont cela d’original dans leur commune misère, qu’ils la prennent de bonne foi pour de l’opulence, et qu’emportés dans ce torrent du monde sensible, ils se sentent heureux, pourvu qu’ils se lèvent un instant au milieu des autres flots, et qu’ils comprennent leur néant et le néant de toutes choses.

Quelle instruction tirer de tous ces exemples ? quelle philosophie véritable contiennent ces philosophies contradictoires ? S’il est vrai, comme M. de Rémusat le proclame après Leibnitz, après M. Cousin, qu’il faut en général, pour qu’une proposition ait été soutenue, qu’elle soit raisonnable par quelque côté, le sensualisme même ne doit pas nous éclairer uniquement par ses erreurs. Il y a d’ailleurs cette différence entre le monde de la raison et celui des sens, que la sensation est exclusive et n’admet pas de partage, que la raison au contraire, qui engendre ou exprime des lois, a besoin de les appliquer, et prouve la sensibilité, comme condition relative de la raison humaine. Ainsi la méthode doit être multiple ; la conclusion, dogmatique ; l’objet, multiple et divers. D’une part, l’expérience et l’induction, de l’autre, l’intuition et la déduction rationnelle, telle est la double méthode que M. de Rémusat recommande. Suivant lui, comme le monde est multiple, la science aussi doit l’être ; il sait que l’unité de la nature est celle qui naît de l’harmonie, et non pas cette unité absolue qu’on obtient par mutilation. En logique, le principe de contradiction et celui de raison suffisante ; en ontologie, la substance et la cause ; en psychologie, l’affirmation directe du moi et du non-moi, sont à ses yeux autant de jugemens primitifs et nécessaires, que l’induction et la déduction doivent développer et féconder, mais qui, servant de base à l’induction et à la déduction, ne peuvent être ni prouvés ni réfutés par elles. Son esprit, éminemment juste et raisonnable, se contient dans les limites du vrai, et ne dépasse jamais les prémisses ; de la faiblesse et de la limitation de la science, il n’en conclut pas le néant de l’impossibilité de concilier, il ne conclut pas l’impossibilité de la conciliation. Il voit, il signale tous les écueils sans y tomber, sans prendre le vertige, sans quitter la droite ligne où sa ferme raison le conduit. Le scepticisme peut l’effrayer, mais non le troubler. Il va jusqu’au fond du système de Kant, et il demeure dogmatique et rationaliste. Il faut, dit-il, con-