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chaleureuse, et en même temps profonde et sincère, de la philosophie rationaliste ; et qu’est-ce que cette philosophie, sinon, pour la méthode, l’autorité souveraine de la raison, et, pour la doctrine, la providence de Dieu, la spiritualité et l’immortalité de l’ame ?

Ce qui prouverait, à défaut d’autres raisons, si ce livre n’en fournissait abondamment de toutes sortes, que M. de Rémusat est un véritable philosophe, c’est-à-dire, pour rappeler la célèbre définition de Cicéron, « un homme de bien qui aime et cherche la vérité ; » ce qui le prouverait, c’est le choix des questions qu’il a traitées. Il n’a pas pris celles qui ont le plus de retentissement et qui attirent l’attention du vulgaire, mais les plus difficiles, les plus sérieuses, les plus abstraites. N’est-ce pas un rare exemple aujourd’hui que cet amour des principes, cet attachement aux problèmes purement scientifiques et ce dédain de la popularité vaine ? Et ne voyons-nous pas des philosophes, sortis de la même école que M. de Rémusat, prendre la philosophie par le milieu, et, peu soucieux de bâtir solidement, ne songer qu’à éblouir le vulgaire, et à créer des systèmes d’un coup de baguette ? Ceux-là n’ont pas payé de leur personne dans nos luttes politiques ; ils n’ont pas marqué leur place au premier rang de nos hommes d’état ; ils sont restés entre eux, dans leurs journaux et dans leurs coteries, uniquement occupés de leurs idées, et tout au plus distraits de loin en loin par quelqu’infructueux essai de société ou de religion nouvelle. Et cependant, quand ils sortent de leur nuage, qu’ont-ils à nous donner que des alimens pour la polémique quotidienne, des théories sur le mariage, la propriété et le pouvoir civil, et des recettes infaillibles pour guérir toutes les plaies de l’ordre social ? C’est qu’ils sont les serviteurs et non les maîtres de l’opinion, que, dans le métier de courtisan, il faut s’accommoder aux fantaisies de ceux que l’on sert, et qu’aujourd’hui la faveur publique n’est pas aux méditations abstraites et aux pures discussions de principes.

En dehors de l’école dont M. de Rémusat fait partie, nous n’avons guère en France que trois écoles de philosophie, ou plutôt trois philosophes, car ils ont de l’influence et pas de disciples. Ouvrez leurs livres, et vous verrez écrit sur la première page que, depuis Dieu jusqu’au dernier atome, ils vous donneront le secret de tout. Ce sont des poètes ; leur imagination se lance sans règle et sans frein dans les espaces imaginaires ; ils jouent avec la métaphysique, et ne songent pas aux conséquences que peut entraîner dans la morale ou dans la politique une hypothèse ainsi jetée à l’aventure. L’un commence un jour une exposition du dogme catholique, que les orages de sa vie