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REVUE. — CHRONIQUE.

lui-même n’a pas cette intimité, cette expression unanime et simultanée ; dans Fidelio, le chœur, bien qu’il intervienne d’une manière active et joue aussi son personnage, est cependant maintenu plus à distance. — Puis, après l’adagio mélancolique, vient la strette, vive, agitée, éclatante ; après le pathétique, le pittoresque ; on s’anime à l’appel des cors, les fusils frémissent, les chapeaux volent dans l’air ; aux nuages des premières mesures, la joie et les fanfares succèdent en un instant. Quel enthousiasme généreux, quel sublime entrain dans cette musique, où semble se résumer tout le côté romantique de la vie de chasseur, toute la poésie de la forêt et de la montagne !

La troupe de M. Schuhmann, bien qu’elle présente déjà certains bons élémens et mérite, sous plus d’un rapport, d’être dès à présent encouragée, a besoin cependant de se recruter d’un ou deux sujets du premier ordre, si elle tient à exécuter avec ensemble et distinction les chefs-d’œuvre du répertoire allemand qui figurent sur son programme. Nous ne parlerons pas du ténor, pauvre jeune homme tout-à-fait nouveau à la scène, et qui n’a consenti à se charger du rôle de Max que provisoirement et pour ne pas retarder les représentations. Avant peu, cet échec, qui pouvait compromettre la fortune de l’opéra allemand, sera réparé, et nous aurons le premier ténor de Vienne, M. Erle, à la place de M. Hinterberger. En attendant, le public prendra patience avec Mlle Walker, Poeck, les chœurs et la jolie Mme Schuhmann. Il s’en faut que Mme Walker réponde à l’idéal qu’on se fait de la création de Weber, pour le physique au moins ; on la prendrait plutôt pour quelque excellente ménagère des poèmes bourgeois de Schiller ou de Henri Voss que pour la mélancolique et svelte fiancée du chasseur Max. Je ne sais guère que la Sontag qui ait reproduit en quelque sorte le type de cette héroïne de la plus romantique des partitions. La Devrient même, en ses plus beaux jours, était trop masculine, trop robuste, trop fièrement épanouie. Quant à Mme Walker, c’est bien encore Agathe si l’on veut, mais Agathe ayant quinze ans de mariage, Agathe attendant Max, non plus en jeune fille qui rêve au clair de lune et qu’un bruit dans l’herbe effarouche, mais en digne mère de famille qui peigne ses enfans et leur prépare des tartines de beurre, de ces larges tartines auxquelles on ne pense pas sans que le souvenir de Werther et de Lolotte se réveille. Cependant, si de la personne vous passez au talent, alors toute prévention défavorable disparaît, et vous retrouvez l’Agathe du poète. La voix de Mme Walker, un peu voilée, mais non terne, plus expressive que timbrée, a des accens d’un pathétique rare, des sons flûtés et doux, qui lui réussissent à merveille, surtout dans le sublime adagio de la grande scène du second acte, où la cantatrice se développe avec ampleur et liberté. Outre qu’elle possède une fort belle voix de soprano, Mme Walker a, sur la plupart des Allemandes que nous avons entendues ici, l’avantage de savoir la poser, et sort de l’école de Prague, la seule école en Allemagne où l’on s’occupe à former des chanteurs. Poeck joue et chante le rôle de Casper en virtuose habile et consommé ; il y a dans son regard inquiet, dans son geste convulsif, dans son intonation diabolique, une intelligence du personnage, une étude continuelle