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du caractère tel que Weber l’a conçu, qui ne sera sans doute que peu appréciée chez nous, mais qui n’en témoigne pas moins du talent de l’artiste. Il faut le voir, dans le trio du premier acte, s’insinuer comme un serpent auprès de Max, lui souffler dans l’oreille ces quelques mesures où le tentateur se révèle tout entier ; il faut le voir ensuite, dans les sortiléges du second acte, s’entretenir avec Samiel, tracer sur le sol des signes fantastiques, disposer en cercle des ossemens et des têtes de morts, et de temps en temps tirer sa gourde et boire, et demander au schnapps une excitation démoniaque, pour comprendre l’originalité singulière de cette création où Weber a mis tout son génie, et dans laquelle nos comédiens et nos chanteurs français n’ont jamais vu qu’une manière de traître de mélodrame, qu’un de ces rôles qui se jouent avec une plume rouge au chapeau et des gants noirs aux mains. À la première représentation de Freyschütz, le public, qui n’est pas forcé de prendre intérêt à l’action dramatique et de suivre un comédien allemand dans sa pantomime et les secrets de son art, le public avait tout simplement mis sur la même ligne Poeck et M. Hinterberger, et compris dans la même défaveur un des artistes les plus expérimentés de la scène allemande et le pauvre novice qui venait s’essayer comme au hasard ; opinion d’autant plus naturelle, du reste, que le rôle de Casper n’ayant guère dans la partition qu’une importance musicale secondaire, on en devait conclure que, puisque ce rôle produisait si peu d’effet, c’était nécessairement la faute du chanteur. En dehors des conditions dramatiques dont nous parlons, et auxquelles le public n’a point pris garde, il n’y a rien à attendre de la partie de basse dans le Freyschütz. Cependant, comme il serait bon d’éviter au public de pareilles erreurs, on fera bien, à l’avenir, de le prévenir d’avance afin qu’il n’enveloppe plus les uns et les autres dans la même opinion. Que de gens ressemblent à cet excellent dilettante d’une chanson de Béranger, qui, pour jouir à son aise de la musique, prétend qu’on l’avertisse d’avance quand c’est du Mozart qu’on lui donne !

Au Freyschütz de Weber a déjà succédé la Jessonda de Spohr. Nous reviendrons sur cette dernière partition qui nous fournira l’occasion d’étudier son auteur, l’un des maîtres les plus en renom de l’Allemagne musicale moderne. En attendant, nous nous bornons à faire des vœux pour le succès de la troupe allemande. Un théâtre allemand qui s’établirait à Paris et jouerait tous les ans pendant trois ou quatre mois de l’été, ne pourrait qu’exercer la plus heureuse influence sur notre éducation musicale, en nous faisant passer en revue des œuvres dont, sans cela, nous ignorerions jusqu’à l’existence. Pour la poésie et les livres, il y a la traduction, les commentaires ; pour la musique, il n’y a que la scène, et une représentation de Freyschütz, d’Euryanthe ou d’Oberon, si incomplète qu’elle puisse être, en dira toujours plus que toutes les traductions et tous les commentaires.