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armée, pendant que quarante galères le bloquaient par mer. Le fils de l’émir, Ali, fut tué après deux victoires, et son père perdit courage. Il se réfugia avec une troupe dévouée sur le rocher de Niska, où il brava pendant une année tous les efforts des Turcs ; mais, peu de temps après, il fut trahi et livré par les siens. Conduit à Constantinople, il fut d’abord magnifiquement traité par le sultan, qui néanmoins le fit bientôt étrangler. La postérité du grand émir Fakardin continua de régner dans la montagne, et il n’y a guère qu’une centaine d’années que le dernier descendant de cet homme célèbre laissa par sa mort la souveraineté à la famille Shaab, dont le chef est aujourd’hui le vieil émir Beschir.

Les Druses occupent la partie méridionale du mont Liban, les revers de l’Anti-Liban, et le Djebel Cheik. On compte trente-sept bourgs et villages habités entièrement par les Druses dans le Liban, et deux cent onze villages de Druses mêlés aux chrétiens. Dans l’Anti-Liban, les Druses habitent seuls soixante-neuf villages ou bourgs ; un grand nombre d’autres sont peuplés à la fois par des Druses, des Maronites, et des Grecs schismatiques. Comme les Maronites, les Druses peuvent se partager en deux classes, celle des cheiks et des émirs, et celle du peuple. La condition générale est celle de cultivateur ; chacun vit de son héritage, travaillant à ses mûriers et à ses vignes. L’émir réunit en sa personne les pouvoirs civils et militaires, et reçoit l’investiture du pacha turc. Il perçoit le tribut que paie la montagne à la Porte ; ce tribut, que l’on appelle miri, est imposé sur les mûriers, sur les vignes, sur les cotons et sur les grains. L’émir n’entretient point de troupes régulières, mais il a à son service une nombreuse clientelle ; en cas de guerre, tout homme en état de porter les armes doit marcher. Les Druses sont cités dans tout le Levant comme un peuple hardi, entreprenant, et brave jusqu’à la témérité. Ils ont le sentiment du point d’honneur très prononcé, et n’admettent point le pardon des injures[1]. La morale domestique est chez eux extrêmement sévère ; ils n’ont qu’une seule femme, mais ils peuvent la répudier et se remarier. Toute infidélité de la femme est punie de mort par les parens même de l’épouse infidèle. Le mari la renvoie dans sa famille avec le poignard qu’il a reçu d’elle le jour de ses noces ; le père ou les frères lui coupent la tête et renvoient au mari une mèche de cheveux ensanglantée. Dans les mœurs des Druses, « le déshonneur suit toujours le sang. » L’autorité n’intervient jamais dans ces actes de la justice domestique[2].

Nous ne nous étendrons point long-temps sur la religion des Druses, qui n’aurait qu’un intérêt purement philosophique. Nous ne savons, d’ailleurs, si l’on peut donner le nom de religion à ce mélange corrompu de dogmes musulmans et de superstitions païennes qui constitue la croyance de ce peuple. Les Druses ne pratiquent ni circoncisions, ni prières, ni jeûnes ; ils n’observent ni prohibitions, ni fêtes. Ils sont divisés en deux castes, celle des akkals

  1. Volney, t. I, ch. 24.
  2. La Syrie sous Méhémet-Ali, par P. Perrier, ch. 22.