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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/517

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REVUE. — CHRONIQUE.

ou initiés, et celle des djahels, qui sont les simples et les ignorans. La constitution religieuse est au fond républicaine, car l’initiation appartient à la capacité, sans distinction de rang ou de sexe. Les Druses ont divers degrés d’initiation, dont le plus élevé exige le célibat. Les akkals de premier ordre se reconnaissent à des turbans blancs qu’ils portent comme symbole de pureté ; ils fuient le contact des profanes ; si l’on mange dans leur plat, et si l’on boit dans leur vase, ils les brisent. Leurs pratiques sont enveloppées de mystères ; ils ont des oratoires toujours isolés, qu’ils appellent khalués, qui sont placés sur les lieux hauts, et ils y tiennent des assemblées secrètes où les femmes initiées sont admises. Des gardes veillent, pendant les cérémonies, à ce qu’aucun profane ne puisse approcher des initiés : toute surprise est punie de mort. Le chef des akkals, ou souverain pontife des Druses, réside au village d’El-Mutna. On dit que les assemblées secrètes des initiés ressemblent aux anciens mystères d’Éleusis. Le mariage est permis, chez les Druses, entre les frères et les sœurs. Pour avoir une idée plus complète de la croyance de ce peuple, on peut consulter le grand et classique ouvrage de M. de Sacy sur la religion des Druses. Ce qui paraît le plus clairement établi, c’est qu’ils adorent le veau. Ils ont une grande foi dans les amulettes, qui représentent pour les initiés des signes maçonniques. Les Anglais, dans la dernière guerre, ont pris beaucoup de ces signes mystérieux. Dernièrement, un Anglais mit sur son habit, en guise de décoration, un de ces veaux symboliques, et le montra à un chef druse qui se trouvait à Londres. On raconte que le Druse devint pâle de colère, et dit à l’Anglais que, s’ils eussent été dans le Liban, il l’eût tué sur place. Pendant les troubles de la montagne, les initiés avaient caché leurs livres sacrés ; cependant les Européens en prirent un grand nombre ; il y en a au musée britannique à Londres, et on dit que Clot-bey en a envoyé plusieurs à Paris.

En résumé, le caractère le plus prononcé de la religion de ce peuple, c’est qu’elle s’accommode à tout. Les Druses sont de vrais païens : ils se feront baptiser ou circoncire au besoin, mais, au fond, ils resteront druses. Toutes les fois que la montagne n’est pas menacée par la domination étrangère, les Druses deviennent oppresseurs, et accablent les malheureux Maronites. Aujourd’hui encore, ils portent le fer et la flamme dans les villages chrétiens, et, pour se concilier la Porte, ils offrent de se faire musulmans, comme ils se firent autrefois chrétiens, pour s’assurer la protection des puissances européennes.

Nous avons dit qu’après l’extinction de la postérité du grand émir Fakardin, la domination du Liban était passée à la famille Shaab, et que le chef de cette famille puissante était aujourd’hui l’émir Beschir. Ce vieillard fameux, qui a si long-temps régné sans partage dans les montagnes, cet aventurier audacieux et heureux, chez lequel la ruse surpassait encore la hardiesse, a joué un trop grand rôle dans les affaires du Levant depuis près d’un siècle, et y occupe aujourd’hui encore une trop grande place par son absence même, pour qu’il ne soit pas nécessaire de raconter quelques détails de sa